Au début du mois de mars, plus de 300 jeunes du village de Kuriga, au nord du Nigeria, ont été enlevés, une attaque qui a provoqué un tollé national. Une semaine plus tard, une centaine de personnes ont été kidnappées lors de deux attaques distinctes un peu plus à l'est du pays.
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Les enlèvements de masse connaissent depuis plusieurs mois une recrudescence dans le pays le plus peuplé d'Afrique. Des gangs de criminels, appelés "bandits", agissent dans le nord et le nord-ouest du Nigeria, ciblant des villages, des écoles ou des autoroutes. Leur stratégie est d'enlever un maximum de personnes en moins de temps possible dans le but d'obtenir une rançon.
Depuis l'entrée en fonction du nouveau président Bola Ahmed Tinubu en mai 2023, au moins 4777 personnes ont été enlevées, selon un décompte de la société nigériane de conseil en gestion des risques SBM Intelligence. Le chiffre pourrait toutefois être encore plus élevé dans la réalité. Un camouflet pour le chef de l'Etat, qui avait fait de la lutte contre l'insécurité l'une de ses priorités.
Les effets du changement climatique
Cette intensification des enlèvements est liée à la dégradation de la situation économique du pays, notamment dans le nord et le nord-ouest. La fermeture de la frontière avec le Niger voisin depuis le coup d'Etat militaire du 26 juillet 2023 a passablement affecté l'activité commerciale de la région. Les camions ne circulent plus et les étalages des marchés sont de plus en plus clairsemés.
De quoi pousser la population vers les activités illégales. "Les gens n’ont rien à faire, ils tuent le temps, se mettent à consommer des drogues. La pauvreté vous pousse au pire, au vol, au meurtre, à tout pour survivre", témoigne ainsi dans Le Monde Sade Rabi’u, chef traditionnel de Jibia, une ville située à la frontière avec le Niger.
Le banditisme est accentué par la raréfaction de l'eau et des terres agricoles, une conséquence du réchauffement climatique. Depuis une dizaine d'années, l'amenuisement de ces ressources a engendré une concurrence féroce pour leur accès, si bien que le brigandage est passé d'une rivalité communautaire à des milices meurtrières, observe une étude de l'American Security Project.
Dans ce contexte, les enlèvements de masse peuvent s'avérer lucratifs. Les kidnappeurs des 300 jeunes début mars ont par exemple exigé une rançon de l'équivalent de 600'000 euros en échange de leur libération. Toutefois, le gouvernement a officiellement pour politique de ne jamais payer les ravisseurs et la loi prévoit même jusqu'à 15 ans d'emprisonnement pour toute personne qui le ferait. Mais dans les faits, les familles des victimes s'organisent souvent pour payer les sommes demandées, quitte à sacrifier toutes leurs économies.
Une inflation de 30%
La crise d'insécurité que traverse le Nigeria est partie pour durer, alors que les conditions socio-économiques se sont encore durcies avec le nouveau gouvernement. Afin d'attirer les investissements internationaux, le président Bola Ahmed Tinubu a entrepris des réformes libérales qui ont des effets délétères sur le pouvoir d'achat de la population.
La libéralisation du naira, la monnaie nationale, a entraîné une baisse de 66% de sa valeur par rapport au dollar américain entre juin 2023 et mars 2024. A cela s'ajoute la fin des subventions sur les carburants, qui a engendré un triplement du prix de l'essence. En conséquence, l'inflation avoisine actuellement les 30%. Le prix des aliments de base comme le millet ou le maïs a doublé en un an. L'ONG Médecins sans frontières dit craindre un pic de malnutrition dans l'année à venir.
Ces conséquences ne semblent pas inquiéter la Banque mondiale, qui estimait en décembre que ces réformes étaient "essentielles" et qu'elles allaient "dans la bonne direction". L’institution de Bretton Woods insistait même pour la prise de "mesures supplémentaires", afin de parvenir "à une croissance annuelle de 3,5 % sur la période 2023-2026".
Un yacht présidentiel
En automne 2023, un ancien banquier d'affaires a été nommé à la tête de la Banque centrale du Nigeria, alors qu'un proche du président, également banquier d'affaires, s'est vu confier le ministère des Finances. Le gouvernement nigérian appelle la population à la patience, promettant que l'inflation reculera d'une vingtaine de points en 2024.
Ces promesses peinent à calmer la colère de la population nigériane, alors que Bola Ahmed Tinubu a approuvé en fin d'année dernière un budget supplémentaire de plusieurs dizaines de millions de dollars pour le rafraîchissement de la flotte aérienne présidentielle et pour l'achat d'un yacht de fonction. Le Parlement a, lui, donné son aval pour fournir des SUV - estimés à 150'000 dollars pièce - à l'ensemble de ses 460 membres.
Antoine Schaub