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Comment le monde des influenceurs s'empare du conflit au Proche-Orient

L'influenceuse israélienne Maya Keyy a été invitée par les autorités israéliennes à visiter le kibboutz de Kissoufim après les attaques du 7 octobre. [Instagram de Maya Keyy]
L'influenceuse israélienne Maya Keyy a été invitée par les autorités israéliennes à visiter le kibboutz de Kissoufim, après les attaques du 7 octobre. - [Instagram de Maya Keyy]
Dans la guerre d'information qui se joue entre Israël et le Hamas, l'Etat hébreu cherche désormais à toucher au-delà des journalistes pour raconter l'horreur du 7 octobre. Depuis début novembre, Israël invite des bus entiers de créateurs de contenus à visiter des kibboutz dévastés par l'attaque surprise du Hamas.

"J’influence dans le domaine de la mode, et maintenant j’utilise mon influence en tant que juive", témoignait début novembre la sophistiquée Maya Keyy, influenceuse israélienne au demi-million d'abonnés sur Instagram.

Tout comme Alina Rabinovich, influenceuse culinaire aux quelque 300'000 abonnés sur Tiktok, elles ont été invitées par les autorités israéliennes à visiter le kibboutz de Kissoufim, où quinze personnes ont été tuées par des combattants du Hamas le 7 octobre dernier.

Prise de position inédite

Dans une vidéo publiée sur Instagram, on peut les voir équipées d'un gilet pare-balles et d'un casque, smartphone à la main, montrer à leur communauté ce qu'il reste des attaques du 7 octobre. "Tout est complètement détruit. On sent encore l'odeur du brûlé", raconte face caméra Maya Keyy, alors qu'elle déambule dans les décombres, avec une musique triste en arrière-plan.

Le jour où ça s’est passé, j’ai tout de suite su que je ne voulais rien faire d’autre que de parler de ce qui s’était passé ici

Alina Rabinovich, influenceuse israélienne

"Le jour où ça s’est passé, j’ai tout de suite su que je ne voulais rien faire d’autre que de parler de ce qui s’était passé ici", déclare de son côté Alina Rabinovich dans une vidéo postée sur les réseaux sociaux. Avant les attaques du Hamas, ces influenceuses ne s'étaient jamais positionnées sur le conflit israélo-palestinien.

Une experte de la communication comme guide

Quatre mois après les attaques et alors qu'Israël est critiqué de toutes parts pour son offensive militaire à Gaza, l'Etat hébreu continue de solliciter des créateurs de contenu pour raconter les horreurs du 7 octobre.

Ainsi, durant le mois de janvier, une dizaine d'influenceurs israéliens ont été invités à participer à une visite guidée dans les localités les plus touchées.

Lors de ces visites, la guide Shirel Liberman, qui est également consultante en communication pour le gouvernement, fait régulièrement des pauses pour que les créateurs de contenus aient le temps de produire des images, rapporte Médiapart, qui a assisté à l'une de ces visites guidées.

"Un moyen de pas oublier"

"Je voulais inviter des influenceurs et des créateurs de contenus pour qu’ils puissent influencer leurs audiences, car Israël fait face à beaucoup de critiques et aussi à du déni. Certaines personnes ne croient pas aux événements qui ont eu lieu ici, en particulier aux histoires de violences sexuelles", se désole Shirel Liberman. Pour l'organisatrice, ces visites sont une réponse à ces critiques et à ce déni, "mais aussi un moyen de pas oublier ce qu'il s'est passé".

Je voulais inviter des influenceurs et des créateurs de contenus pour qu’ils puissent influencer leurs audiences, car Israël fait face à beaucoup de critiques et aussi à du déni

Shirel Liberman, consultante en communication pour le gouvernement israélien

Yoav Zammir, spécialiste des vidéos humoristiques et de beatboxing aux près de 200'000 abonnés sur TikTok, a également accepté de participer à cette visite guidée. Depuis le 7 octobre, le créateur de contenus s’est décidé à utiliser son influence pour défendre son pays. Un changement d'orientation qui passe notamment par l'installation de drapeaux israéliens et de portraits d'otages partout dans sa chambre, où il tourne ses vidéos. Depuis son bureau, il interagit en live avec des internautes du monde entier et tourne en dérision celles et ceux qui soutiennent la Palestine.

Yoav Zammir s’est décidé à utiliser son influence pour défendre son pays depuis sa chambre [Instagram de Yoav Zammir]
Yoav Zammir s’est décidé à utiliser son influence pour défendre son pays depuis sa chambre. [Instagram de Yoav Zammir]

Une bataille qui se joue sur l'émotion

Cette stratégie de communication utilisée par les autorités israéliennes, via des influenceurs notamment, s'apparente à la "hasbara", un terme hébreu qui peut être traduit par "explication" en français. C'est également ainsi qu'est appelée la communication d'Israël en direction de l'étranger. À travers la "hasbara", l'Etat hébreu souhaite justifier ses actions et convaincre l'opinion internationale de le soutenir.

Pour Israël, il s'agit de légitimer les faits, de sensibiliser l'opinion mondiale à la gravité des crimes commis le 7 octobre, en même temps qu'à la situation des otages

David Colon, auteur de "La Guerre de l'information"

La bataille à laquelle se livrent Israël et le Hamas sur le plan de l'émotion "est un élément central de cette guerre de l'information", rappelle par ailleurs David Colon, auteur de "La Guerre de l'information". "Pour Israël, il s'agit de légitimer les faits, de sensibiliser l'opinion mondiale à la gravité des crimes commis le 7 octobre, en même temps qu'à la situation des otages",  analyse le chercheur sur Franceinfo.

Du côté palestinien

Dans le même temps à Gaza aussi on met en avant les victimes civiles palestiniennes, à travers des photos et vidéos choc publiées sur les réseaux sociaux et relayées massivement par les internautes. Sur Instagram par exemple, l'influenceur Saleh Aljafarawi cumule 3,3 millions d'abonnés avec ses vidéos remplies d'enfants blessés et de victimes des frappes aériennes israéliennes.

Sur Instagram, il se filme en train de déambuler dans les rues de Gaza, avec de la musique en arrière-fond.

Capture.PNG [Instagram de Saleh Aljafarawi]
Le youtubeur Saleh Aljafarawi, très actif sur les réseaux sociaux, poste de nombreuses vidéos de la bande de Gaza détruite par les frappes israéliennes. [Instagram de Saleh Aljafarawi]

Si ses partisans le louent comme étant un "combattant de la liberté", plongé au cœur de la zone de guerre palestinienne, ses détracteurs l'accusent de véhiculer la propagande du Hamas. L'influenceur est accusé de mettre en scène ses actions. Une critique d'ailleurs aussi entendue contre les visites de presse organisées par Israël.

Hélène Krähenbühl

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Un business sur Tiktok

D'autres influenceurs se saisissent du conflit au Proche-Orient à des fins purement commerciales en organisant des "lives matches" sur Tiktok. Lors de ces matches en direct, les participants peuvent interagir entre eux. Ils se mettent en scène représentant la Palestine contre Israël.

Le but de ces lives est d'inciter les spectateurs à offrir des "dons": celui qui remporte le plus de "dons" au bout de cinq minutes remporte le duel. Ces dons, qui prennent la forme de cadeaux virtuels, permettent de remporter de l'argent.

Tiktok prend également sa part du gâteau puisque la plateforme peut prélever jusqu'à 50% des sommes générées par les utilisateurs lors des matches. Certains matches en direct observés par le média spécialisé Wired se sont poursuivis durant plusieurs heures, par tranche de cinq minutes.

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