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Comment le nationaliste Narendra Modi transforme l'Inde

Geopolitis
Inde, face au nationalisme hindou / Geopolitis / 26 min. / le 28 avril 2024
Au pouvoir depuis 10 ans, Narendra Modi brigue un troisième mandat lors des élections législatives qui ont commencé le 19 avril. Le Premier ministre indien s'attache à promouvoir une Inde puissante et économiquement dynamique. Il fait aussi avancer l'agenda nationaliste hindou de son parti, le BJP, alors que les tensions intercommunautaires s'intensifient dans le pays.

C'était le 22 janvier dernier. Devant des milliers de personnes, le Premier ministre indien Narendra Modi présidait la cérémonie de consécration du temple de Ram, à Ayodhya. Un acte symbolique fort dans ce pays multiconfessionnel. Car le site d'Ayodhya est disputé. Il accueillait une mosquée vieille de 400 ans, détruite en 1992 par des fondamentalistes hindous. Les violences qui avaient suivi firent 2000 victimes, pour la plupart de confession musulmane. 

Le Premier ministre Narendra Modi a inauguré le très politique temple de Ram à Ayodhya en Inde. [EPA/Keystone - India Press Information Bureau]
Le Premier ministre Narendra Modi a inauguré le très politique temple de Ram à Ayodhya en Inde. [EPA/Keystone - India Press Information Bureau]

Au pouvoir depuis 2014, Narendra Modi et son parti, le BJP, espèrent renforcer leur majorité lors des élections législatives qui ont débuté le 19 avril, et dureront six semaines. Ce parti nationaliste hindou promeut l'idéologie de l'"Hindutva", qui considère la culture hindoue comme le socle unique de l’identité indienne. "Cette idéologie permet de légitimer toutes sortes de mesures qui vont essayer d'aller à l'encontre des communautés qui ne sont pas hindoues. L'idée est vraiment que ces communautés ont une place secondaire et accessoire dans le pays", explique Philippe Bornet, historien à l’Université de Lausanne et invité de Géopolitis.

Hindous, chrétiens, musulmans

Le gouvernement indien vient d’annoncer la mise en œuvre d’une loi controversée sur la citoyenneté qui permet la régularisation de réfugiés, mais exclut les musulmans. L'adoption de cette loi en 2019 avait provoqué d'importantes manifestations à travers le pays. Les autorités sont aussi accusées de cibler les propriétés de la communauté musulmane lors de destructions au bulldozer de constructions considérées comme illicites. Cette pratique est dénoncée par Amnesty international comme "une forme de punition collective" contre la communauté musulmane. En janvier dernier par exemple, plusieurs échoppes appartenant à des commerçants musulmans et jugées illégales ont été détruites à Mumbai, après des violences intercommunautaires.

Dans l'"Hindutva", explique Philippe Bornet, il y a une volonté de revenir à un "âge d'or de l'Inde ancienne" tel qu'il est perçu par les promoteurs de cette idéologie. Ses partisans voient l'Inde comme un pays qui a "une histoire extraordinaire et qui aurait été un peu "gâchée" par les conquêtes musulmanes puis par l'arrivée des colons britanniques", souligne ce spécialiste de l'Inde. La communauté hindoue représente la grande majorité de la population du pays. Les musulmans sont la première minorité religieuse, devant les chrétiens, qui signalent aussi une hausse des attaques contre leur communauté.

Les différentes religions en Inde selon le dernier recensement de 2011. [RTS - Géopolitis]
Les différentes religions en Inde selon le dernier recensement de 2011. [RTS - Géopolitis]

La Constitution indienne contient le principe du "sécularisme" de l'Etat. "Ce terme de "séculier" ou "sécularisme" n'est pas exactement la même chose que la laïcité à la française", précise Philippe Bornet. "C'est plutôt un terme qui vise à dire que l'Etat ne devrait pas privilégier une religion au détriment des autres. C'est une notion tout à fait centrale puisque l'Inde est une grande constellation de religions très différentes, avec 200 millions de musulmans - ce n'est pas une petite minorité - mais bien sûr aussi d'autres minorités chrétiennes, jaïns, sikhs et autres. Il est donc central d'avoir une politique qui permette d'intégrer cette diversité religieuse. Et c'est bien le souci avec cette notion d'"Hindutva" qui tend à privilégier la composante hindoue."

Ambitions économiques

Mais la popularité de Narendra Modi, grand favori des élections en cours, tient aussi à son programme économique. Quand il est arrivé au pouvoir lors des élections de 2014, le BJP a modéré ses ambitions dans le cadre de son agenda nationaliste hindou et a mis en avant en parallèle un programme de libéralisation, de privatisation et d'ouverture au capitalisme, explique Philippe Bornet.

Pays le plus peuplé de la planète, l'Inde est aujourd’hui la cinquième puissance économique mondiale. Il affiche la croissance économique la plus rapide avec +6,7% en 2023, selon le FMI. En 20 ans, le sous-continent s'est imposé comme une superpuissance numérique et un centre mondial de fabrication de systèmes électroniques. Apple envisage d'y transférer en 2025 la moitié de sa production d'Iphone, séduit par une main d’œuvre très bien formée et peu coûteuse. L’Inde est le numéro 2 mondial en termes de vente de portables.

Sur les dix dernières années, l'économie et la politique extérieure de l'Inde ont beaucoup évolué. "On peut voir que le PIB a plus que doublé pendant cette période. On peut également voir toutes sortes d'occasions où l'Inde s'est présentée comme une grande puissance à mettre sur un pied d'égalité avec d'autres puissances, comme les États-Unis", souligne Philippe Bornet. L'Inde a accueilli le dernier sommet du G20, en 2023. Cette même année, le pays a aussi réussi à poser avec succès sa sonde Chandrayaan-3 sur la Lune. Jusqu'ici, seuls les Etats-Unis, la Chine et l'ancienne Union soviétique avaient réussi une telle performance.

Mais l’Inde du Premier ministre Narendra Modi reste aussi profondément inégalitaire. Cent soixante millions d’Indiens vivent en dessous du seuil de la pauvreté.

Elsa Anghinolfi / Anne Delaite

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