Les guerres se terminent par un accord, explique dans l'émission Tout un monde Hein Goemans, professeur de Sciences politiques à l’Université de Rochester aux Etats-Unis. Un tel accord intervient généralement lorsque chaque partie considère que les conditions proposées sont plus avantageuses que ce qu'elle estime pouvoir obtenir avec la poursuite des combats.
En Ukraine, cette situation est encore lointaine. "Les attentes des deux parties doivent converger suffisamment pour qu'un accord soit possible. A l'époque, j'étais plutôt optimiste quant aux perspectives de l'offensive d'été de l'Ukraine. Et j'étais encore relativement optimiste quant à la poursuite du soutien des Etats-Unis à l'Ukraine", se souvient le spécialiste des conflits territoriaux.
La Russie devient plus optimiste et cela peut l'amener à revoir ses propres objectifs à la hausse
"Le fait que l'offensive ait échoué et que la Chambre des représentants des Etats-Unis bloque l'aide à l'Ukraine, c'est bien sûr une mauvaise nouvelle pour l'Ukraine. Et par conséquent, elle doit revoir ses attentes à la baisse."
"Mais cela ne veut pas dire qu'un accord est plus proche d'être conclu, parce qu'en même temps, la Russie devient plus optimiste et cela peut l'amener à revoir ses propres objectifs à la hausse. En conséquent, l'écart entre les deux ne se réduit pas nécessairement."
Crédibilité des négociations
Ces attentes contradictoires ne peuvent pas être résolues par la diplomatie, mais uniquement par les combats. Et même si la plupart des guerres se terminent à la table des négociations, celles-ci commencent rarement avant que de violents combats aient eu lieu.
Hein Goemans rappelle que des négociations nécessitent de pouvoir compter sur une certaine crédibilité de l’adversaire. "Toutes les promesses de règlement faites par la Russie ne sont probablement pas crédibles. Les Ukrainiens n'ont aucune raison de croire que les Russes, s'ils échouent, s'arrêteront aux quatre provinces du Donbass."
Un accord sur le gel du conflit placerait l'Ukraine dans une très mauvaise position
"En 2014, ils ne se sont pas contentés de deux provinces. L'Ukraine doit donc avoir une garantie de sécurité crédible que si un accord est conclu, il sera respecté. Et, cette année, l'Ukraine fera face à un test très difficile avec la lenteur dans la fourniture de munitions et la capacité industrielle à produire plus d'armes en Europe et aux Etats-Unis."
Le chercheur estime par ailleurs qu'un gel du conflit, sans traité de paix, serait défavorable à l'Ukraine. "Les Occidentaux pourraient se dire 'il y a la paix, tout va bien, nous pouvons nous rendormir', alors que la Russie se réarmerait. Cela placerait l'Ukraine dans une très mauvaise position. L'Ukraine ne devrait pas accepter un tel accord, parce qu'elle déposerait les armes pour être obligée de se battre à nouveau dans dix ans, mais avec un soutien occidental moins important."
Les Ukrainiens ne veulent rien lâcher
La population ukrainienne reste en outre largement favorable à la poursuite des combats, souligne Hein Goemans. "Les derniers sondages d'opinion indiquent qu'environ 85% des Ukrainiens sont opposés à toute concession territoriale pour faire la paix."
"Pour les Russes, la question est de savoir quand ils se demanderont si cela vaut la peine de se battre. Lorsqu'il y aura 300'000, 500'000 morts? Une situation économique très mauvaise? Il faudrait un grand choc, comme il y en a eu à l'automne 2022, quand les Russes ont été repoussés de façon spectaculaire à Kharkiv et ailleurs. Ce serait un signal massif pour les Russes que la guerre ne leur apportera pas ce qu'ils attendent."
Propos recueillis par Patrick Chaboudez
Version web: Antoine Schaub