Comprendre la crise en République démocratique du Congo en 5 questions
Le conflit en République démocratique du Congo (RDC) connaît un regain de violence depuis 2021, avec une intensité encore redoublée depuis le début de l'année. Depuis 1998, cette guerre aurait fait 6 millions de morts, selon un chiffre souvent évoqué.
Ces violences sont étroitement liées à l'exploitation des mines à l'est du Congo, qui regorgent de minerais indispensables pour la transition écologique des pays occidentaux. Pourtant, cette guerre ne suscite que peu d'intérêt, tant au niveau médiatique qu'auprès de la communauté internationale.
Antoine Schaub
Que se passe-t-il actuellement en RDC?
Point de situation
Depuis 2021, la province du Nord-Kivu, à l'est de la RDC, connaît un regain de violences entre les forces gouvernementales et les rebelles du Mouvement du 23 mars (M23). La tension est encore montée d'un cran avec la réélection du président Félix Tshisekedi en décembre dernier. L'opposition rejette le résultat et dénonce un "simulacre d'élection".
Le Rwanda voisin est accusé de soutenir le M23, ce que Kigali n'a jamais admis officiellement. La France a récemment dénoncé "les atteintes à l'intégrité territoriale de la RDC" et s'est inquiétée de "la poursuite des offensives du M23 avec le soutien du Rwanda et la présence des forces rwandaises sur le territoire congolais". Les Etats-Unis s'inquiètent d'une guerre ouverte entre la RDC et le Rwanda et appelle eux aussi Kigali à cesser son soutien au M23.
Les combats se concentrent actuellement autour de Saké, à une vingtaine de kilomètres de Goma, ville de près de 800'000 habitants qui était jusqu'ici considérée comme un lieu sûr, tenu par le gouvernement. Selon l'ONU, les violences depuis le début de l'année ont entraîné le départ de plus de 200'000 habitants, qui ont rejoint le demi-million de personnes déjà réfugiées à Goma.
Ce regain de violence est surtout le symptôme de 30 années de conflit jamais résolu
Pour Stéphanie Perazzone, chercheuse au Global Studies Institute, "ce regain de violence est surtout le symptôme de 30 années de conflit jamais résolu. Les violences armées perpétrées à l’est de la RDC fonctionnent par cycles d’intensité variable".
"La proximité des groupes armés et du M23 en particulier, de Goma, le chef-lieu très densément peuplé de la province, suscite également beaucoup d’émotions et d’inquiétudes", observe la chercheuse. Mais elle rappelle que même lors des périodes d'apparences plus calmes, les exactions sur les populations civiles - commises par les deux camps - se poursuivent dans les petites villes et villages du Nord-Kivu. Ces attaques sont, elles, "souvent invisibilisées ou ignorées".
Signe de la complexité de la situation, la Mission de l'ONU en RDC (Monusco) a amorcé mercredi son retrait du pays, à la demande des autorités congolaises, qui la trouvent inefficace. La Monusco, composée d'environ 15'000 Casques bleus, est encore présente dans les trois provinces les plus troublées de la région, le Sud et le Nord-Kivu, ainsi que l'Ituri.
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Comment la population locale est-elle touchée?
Urgence humanitaire
Selon l'ONU, la RDC compte au total quelque 7 millions de déplacés, principalement dans l'est du pays. Mi-février, le Fonds des Nations unies pour l'enfance (Unicef) et le Programme alimentaire mondial (PAM) ont appelé à "une action immédiate pour protéger les enfants et les familles pris dans l'escalade de la violence".
Les agences s'inquiètent des nouveaux déplacements de population vers des camps de déplacés déjà surchargés. "Nous sommes confrontés à une catastrophe humanitaire de grande ampleur", s'est alarmé le PAM. Un quart de la population du pays est menacée par la faim.
Je peux vous témoigner, en ayant été sur le terrain à Goma en 2007 et 2014, ce que j'ai vu cette semaine, c'est sans équivalent
Emmanuel Lampaert, représentant de Médecins sans frontières (MSF) en RDC, partage cette inquiétude. Joint par téléphone, il détaille la situation à Goma. "J'ai pu me balader dans les camps, et si je compare la situation à celle d'il y a quelques mois, le conflit s'est clairement embrasé."
Le rapprochement des combats de la ville de Goma préoccupe particulièrement Emmanuel Lampaert. "La ligne de position des FARDC (les Forces armées de la République démocratique du Congo, ndlr) sont très proches, presque à la limite des camps."
Il y a une recrudescence de l'épidémie de rougeole en même temps qu'une recrudescence de malnutrition aiguë modérée à sévère
Et de décrire la présence de miliciens volontaires dans les camps, renforçant l'insécurité. "Je peux vous témoigner, en ayant été sur le terrain à Goma en 2007 et 2014, ce que j'ai vu cette semaine, c'est sans équivalent. Les sites formels et les sites informels se chevauchent, je n'ai pas vu ça par le passé." Certains de ses collègues décrivent même une situation pire qu'en 1994, où chaque camp avait au moins un centre médical ou une école.
Le conflit a également des conséquences indirectes sur la santé mentale et physique de la population. Les programmes de vaccination sont notamment perturbés. "Il y a donc une recrudescence de l'épidémie de rougeole en même temps qu'une recrudescence de malnutrition aiguë modérée à sévère. Il y a également une épidémie de choléra. Et nous pouvons continuer à compter les conséquences encore et encore."
Comment expliquer le manque d'intérêt pour cette guerre?
Un conflit éclipsé
Une image a marqué les esprits le 7 février, lors de l'hymne congolais avant la demi-finale de la Coupe d'Afrique des nations (CAN). Les joueurs de l'équipe nationale ont alors mimé avec leurs mains un pistolet sur la tempe et une bouche bâillonnée. Les Léopards voulaient ainsi dénoncer l'indifférence générale quant aux événements qui se déroulent dans leur pays.
Un constat partagé par l'ONU et les principales ONG actives en RDC, qui implorent la communauté internationale à davantage se mobiliser. Elles rappellent que seuls 40% des besoins d'aide d'urgence ont été couverts l'an passé.
Analyser les événements uniquement à travers le prisme de la violence aveugle, irréfléchie, tribale ou même ancestrale, mène à leur banalisation
Stéphanie Perazzone voit trois principales raisons au manque d'intérêt porté à la situation en RDC. "D’abord, il y a sans doute un effet de ‘lassitude’. Après près de 30 ans de conflits armés, dont les causes et les effets sont excessivement compliqués à expliciter et à étudier, les médias internationaux ne sont pas toujours enclins à assurer une couverture régulière et systématique des violences qui se déroulent dans la région."
La chercheuse pointe ensuite un effet de ‘normalisation’ de la violence en Afrique et en RDC en particulier. Elle regrette une façon d'analyser - même de façon inconsciente - les événements dans la région uniquement "à travers le prisme de la violence aveugle, irréfléchie, tribale ou même ancestrale". Cela mène, explique-t-elle, à leur "banalisation" et à leur "simplification". Ces réponses toutes prêtes renforcent le désintérêt porté à la situation.
Aujourd'hui, ce qui se passe autour de la région de Goma peut être qualifié d'échec humanitaire
Finalement, Stéphanie Perazzone explique que l'invasion de l'Ukraine et la guerre entre Israël et le Hamas "ont retenu l'attention des médias et des politiques au détriment d'autres conflits dont on parle peu, ou de manière épisodique".
La multiplication des conflits engendre aussi une compétition pour l'aide internationale. Emmanuel Lampaert plaide pour une approche davantage basée sur la proportion des besoins. "Aujourd'hui, ce qui se passe autour de la région de Goma peut être quasiment qualifié d'échec humanitaire vis-à-vis des standards minimaux. On essaye de faire au mieux, mais les réponses ne sont pas à la hauteur des besoins", regrette le représentant de MSF.
Quelles sont les origines du conflit?
Liens avec le génocide au Rwanda
Même si la RDC compte plus de 260 groupes armés actifs, le conflit actuel à l'est du pays oppose principalement les Forces armées de la République démocratique du Congo (FARDC) aux rebelles du Mouvement du 23 mars (M23).
Le M23 entretient des liens étroits avec le Rwanda. Tous deux sont formés majoritairement de la communauté tutsie, qui serait, selon eux, persécutée par l'Etat congolais. Dans le podcast du Point J de la RTS, Coralie Pierret, journaliste basée dans le Nord-Kivu, explique que ces tensions remontent au génocide qui a eu lieu au Rwanda en 1994. Celui-ci a été commis par la communauté hutu, alors au pouvoir, contre les Tutsis.
Il va de soi que la protection de la minorité tutsie est à la fois une préoccupation bien réelle, et un prétexte aux opérations et soutiens militaires du Rwanda
Une fois que les Hutus ont été renversés, nombre d'entre eux ont fui dans les pays voisins. "La première répercussion, c'est qu'il y a de nombreux Hutus qui sont venus se réfugier en RDC. Est donc née une suspicion sur cette partie du Nord-Kivu qui, selon les Rwandais, abriterait en fait les génocidaires", explique Coralie Pierret.
"C'était en partie vrai. Mais bien sûr, il y avait aussi beaucoup de civils qui n'avaient rien à voir avec le génocide qui se sont réfugiés en même temps. Et en fait, à partir de cet événement historique se joue une série de conflits dans la zone. Alors aujourd'hui, ce conflit au Kivu n'est absolument pas interne", conclut la journaliste.
Stéphanie Perazzone tient elle aussi un discours nuancé. Selon elle, le régime rwandais utilise certes depuis très longtemps l'argument de la protection des Tutsis pour légitimer diverses prises d'armes, mais non sans raison. "Il va de soi que la protection de la minorité tutsie est à la fois une préoccupation bien réelle, et aussi un prétexte ‘pratique’ à la continuation des opérations et soutiens militaires, mais aussi à la légitimité et à la raison d’être du régime de Paul Kagame, au pouvoir depuis trente ans au Rwanda."
Quels liens entre le conflit et l'exploitation des gisements?
Des minerais indispensables
Le sous-sol de la République démocratique du Congo regorge de ressources stratégiques. Le pays couvre notamment 70% de la production mondiale de cobalt, un métal incontournable pour la fabrication des batteries, elles-mêmes centrales pour la transition énergétique. Le territoire congolais se trouve également sur des gisements de nickel, d'étain, de cassitérite et même de diamants.
La richesse de ces sous-sols ne profite toutefois pas à la population, dont plus de deux tiers vivent avec moins de deux dollars par jour. Les termes de "scandale géologique" et de "malédiction des matières premières" sont souvent utilisés pour décrire la situation.
Une grande partie de ces mines se trouve à l'est du pays, où le conflit fait rage. Les mines permettent aux groupes armés de se financer. L'exploitation est alors artisanale, et leur exportation se fait en deux temps. C'est seulement une fois que ces minerais sont sortis du Congo qu'ils sont exportés à des intermédiaires peu scrupuleux sur leur origine. "Ces intermédiaires sont à Dubaï dans les Émirats arabes unis. Et les autorités locales ferment les yeux", expliquait à TV5 MondePhilippe Chalmain, spécialiste du marché des matières premières.
Intérêts des grands groupes miniers
Les groupes armés n'ont pas pour autant le monopole des mines congolaises. Les richesses des sous-sols de la RDC ont attisé depuis longtemps l'appétit des grandes multinationales étrangères. Initialement dominé par des opérateurs belges, le secteur minier des grands groupes est aujourd'hui principalement en mains chinoises, où l'industrie des batteries est particulièrement développée. L'entreprise suisse Glencore est également présente en RDC, et défraie régulièrement la chronique pour des scandales de corruption.
Il y a une instabilité suffisante qui permet de conserver des zones d'ombre pour la continuation d'exploitations illégales
L'état actuel du conflit, qui reste cantonné à certaines régions sans que l'ensemble du pays bascule dans la guerre, profite à ces grands groupes, selon Stéphanie Perazzone. "D'un côté, il y a une stabilité suffisante qui permet de signer des contrats avec un gouvernement existant et à peu près en mesure de les honorer."
"De l'autre, il y a une instabilité suffisante qui permet de conserver des zones d'ombre (fiscales et juridiques par exemple) pour la continuation d'exploitations illégales, d'abus des travailleurs, d'opérations de blanchiment ou de trafics régionaux et internationaux en tout genre."
L'exploitation des mines a par ailleurs un impact direct sur la santé des travailleurs. Dans le cadre de son travail pour Médecins Sans Frontières, Emmanuel Lampaert a pu se rendre à Rubaya, la plus grande mine de coltan du pays. "Nous avons vu plein de conséquences. Il y a celles visibles dans le bloc opératoire, avec par exemple des hernies. Et il y a aussi toutes ces personnes qui sont juste épuisées, malmenées, dans ce système d'exploitation."