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Cuba s'enfonce toujours plus dans la crise économique

Cuba a annoncé mercredi le rétablissement de relations diplomatiques avec la Corée du Sud. [Keystone]
Cuba au bord du gouffre / Tout un monde / 9 min. / le 4 juin 2024
Hausse de l’inflation, pénurie de nourriture et de médicaments, industrie sucrière dans la tourmente, traces laissées par la pandémie de Covid-19: Cuba vit une période économique très difficile. Exaspérés, les habitants sont descendus dans la rue fin mars pour réclamer de la nourriture et dénoncer les coupures de courant.

Frappés par la crise économique, toujours plus de Cubaines et de Cubains prennent le chemin de l'exil. Plus de 500'000 personnes ont rejoint les Etats-Unis ces deux dernières années, un chiffre sans précédent depuis la révolution de 1959. L’embargo imposé par les Etats-Unis - que Joe Biden n’a finalement que peu allégé ces quatre dernières années - et la nature du régime cubain ne facilitent pas le quotidien des habitants.

Les coupures d'électricité rythment le quotidien des Cubains et des Cubaines. [AFP - YAMIL LAGE]
Les coupures d'électricité rythment le quotidien des Cubains et des Cubaines. [AFP - YAMIL LAGE]

Les pénuries engendrent des pénuries

Face à la crise alimentaire, Cuba a même demandé cette année de l'aide au Programme alimentaire mondial (PAM). L’île ne produit presque rien, le carburant ou les matériaux font défaut. La majorité des produits de base, comme le riz ou les haricots noirs, sont donc importés.

Certains ressentent même de la peur, notamment devant le mécanisme d'hyperinflation et de dévaluation de la monnaie au jour le jour qui s'est mis en place depuis la réforme monétaire de janvier 2021

Blandine Destremeau, directrice de recherche au CNRS

"L'État n'a plus les moyens en devises pour acheter de quoi alimenter la population", note Blandine Destremau, directrice de recherche au CNRS. "Cuba est un pays surendetté, mais qui doit, du fait de l'embargo états-unien, payer la plupart de ses importations en cash et ne peut pas profiter de lignes de crédit pour s'approvisionner, contrairement à la plupart des autres pays. Il lui faut donc gagner des devises pour pouvoir payer les importations."

La chercheuse française, autrice du livre "Vieillir sous la révolution cubaine", était sur l’île tout récemment. Elle décrit une population en proie à l’exaspération et à l’incertitude. "Certains ressentent même de la peur, notamment devant le mécanisme d'hyperinflation et de dévaluation de la monnaie au jour le jour qui s'est mis en place depuis la réforme monétaire de janvier 2021. Cela engendre une énorme incertitude sur les prix, sur l'avenir, sur la capacité de se nourrir", explique Blandine Destremeau, au micro de l'émission de la RTS Tout un monde.

La population dans la rue

Ce contexte de crise économique aiguë a donné lieu ce printemps à des protestations. Parties de l'est du pays, et plus particulièrement de Santiago de Cuba, elles se sont ensuite propagées à d’autres villes. A noter que ces soulèvements se distinguent des grandes manifestations, plus politiques, qui avaient eu lieu sur l’île en 2021 contre le régime communiste, note la spécialiste.

"Les manifestations à Santiago de Cuba, il y a deux mois, proviennent avant tout d'une forme d'exaspération économique. C'est-à-dire que l'échec du régime ne s'observe pas tant du point de vue des restrictions des libertés politiques ou d'expression, mais du point de vue de son incapacité à tenir ses promesses en termes de bien-être et de sécurité alimentaire, sociale, sanitaire et éducative."

>> Lire aussi : Cuba secoué par des manifestations inédites contre le gouvernement

Files d'attente interminables

Pour obtenir des biens de première nécessité, des files d'attente interminables se forment dans les rues, au point que des habitants en rémunèrent d’autres pour la faire à leur place. Pour pouvoir prendre place dans ces queues, certains Cubains renoncent même à aller travailler.

Les diasporas cubaines aux Etats-Unis n'envoient plus uniquement de l'argent à leurs familles restées au pays, mais aussi des aliments. Les nombreuses coupures de courants compliquent encore plus la vie sur l'île. "L’intérieur des frigos se réchauffent et on risque de perdre les biens qu'on y entrepose", raconte Blandine Destremeau.

Pour obtenir des biens de première nécessité, des files d'attente se forment un peu partout dans les rues. [AFP - ADALBERTO ROQUE]
Pour obtenir des biens de première nécessité, des files d'attente se forment un peu partout dans les rues. [AFP - ADALBERTO ROQUE]

Rôle des femmes dans les protestations

Lors des manifestations de ce printemps, les femmes étaient en première ligne, souligne Carolina Barrero, une opposante cubaine et historienne de l’art qui a été forcée à l’exil il y a deux ans. Réfugiée aujourd’hui en Espagne, elle était à Genève à l’occasion du Geneva Summit for Human Rights and Democracy.

"Ce sont les mères qui font face aux problèmes quotidiens, comme celui de nourrir leurs enfants, de payer des factures extrêmement élevées de gaz et d'électricité, ou de leur donner espoir en l'avenir dans un pays dévasté par le régime."

Elle estime que l’opposition, à Cuba, n'a pas dit son dernier mot. "Dès que ceux qui ont été mis en prison sans aucune forme de procès sont libérés, ils retournent manifester. Même s'ils risquent à nouveau d'être emprisonnés."

Reproches contre l'Espagne et l'UE

Carolina Barrero reproche en outre à l’Union européenne de ne pas être assez ferme vis-à-vis de l’Etat cubain et de ses violations des droits humains et de l’absence de libertés politiques. En 2016, l’UE a signé avec Cuba un accord de normalisation de leurs relations. Un accord inefficace et détourné, selon l’opposante.

La croissance économique ne nous garantira pas la liberté. Par contre, la liberté politique nous garantira une véritable croissance économique dans un État de droit

Carolina Barrero, opposante cubaine et historienne de l’art qui a été forcée à l’exil

"Le soutien que l'Europe donne à Cuba à travers ce traité va surtout à des entités et organisations du régime. Il a été pensé au départ pour soutenir la société civile, mais il est tombé dans un piège: c'est le régime cubain qui décide de ce qu'est la société civile et qui en vient à détourner ces ressources pour des organisations qui sont des entités de l'Etat", précise Carolina Barrero. 

Pour cette exilée cubaine, aider Cuba économiquement ne va pas résoudre le problème : "La croissance économique ne nous garantira pas la liberté. Par contre, la liberté politique nous garantira une véritable croissance économique dans un État de droit. La croissance économique dans une dictature produit des monstres, à l'instar de la Chine ou du Vietnam."

Le pouvoir cubain fustige l’embargo états-unien

Miguel Diaz-Canel a sans surprise été réélu mercredi à la tête de l'île communiste de Cuba. [Keystone]
Le président cubain Miguel Diaz-Canel [Keystone]

Pour le président cubain Miguel Diaz-Canel, la principale, voire l'unique cause du gouffre économique dans lequel se trouve son pays, est l'embargo américain: "En 2019, l’administration Trump a appliqué plus de 240 mesures qui ont renforcé le blocus. Elle a même appliqué, pour la première fois, le titre III de la loi Helms-Burton, qui a eu un énorme impact sur les investisseurs étrangers", note le chef d'Etat cubain, lors d’une récente interview au journaliste Ignacio Ramonet.

Miguel Diaz-Canel considère que l’embargo est aussi responsable de la diminution du tourisme sur l’île et rappelle que quelques jours avant de quitter la Maison Blanche, Donald Trump a inclus Cuba dans la liste des pays soutenant le terrorisme. "En conséquence, toutes les agences bancaires et les institutions financières ont cessé de nous prêter", déplore le dirigeant cubain.

Corruption des élites et fardeau bureaucratique

Pourtant, divers autres facteurs fragilisent l'économie de l'île. Les opposants dénoncent un haut niveau de corruption et une industrie touristique aux mains de l'élite militaire cubaine. Les réformes économiques introduites ces dernières années permettant de créer des petites entreprises ne sont pas accompagnées de facilitations bureaucratiques, souligne pour sa part la chercheuse Blandine Destremeau.

Enfin, Cuba comptait aussi sur des pays alliés comme le Venezuela pour lui fournir du carburant. Or, Caracas n’a pas été capable de le faire ces dernières années.

Isabelle Cornaz/fgn

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