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De la parole aux actes, comment naît la violence politique? 

La tentative d’assassinat contre Donald Trump relance la question de l'effet des déclarations politiques sur le comportement des citoyens. [Keystone - Evan Vucci - AP Photo]
Violences politiques: de la parole aux actes / Tout un monde / 5 min. / jeudi à 08:13
La tentative d’assassinat contre Donald Trump relance la question de l'effet des déclarations politiques sur le comportement des citoyens. Selon les psychologues et les linguistes, la violence verbale déshumanise les adversaires et encourage le passage à l’acte.

Lors d'un appel avec des donateurs le 8 juillet dernier, Joe Biden avait déclaré qu'il était "temps de cibler Donald Trump". La formule a été très critiquée depuis l'attaque contre l'ancien président, les républicains accusant les démocrates d’avoir encouragé ce passage à l’acte. Joe Biden a d’ailleurs reconnu avoir fait une erreur en utilisant ces termes.

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Les mots employés par les politiciens ont en effet un impact sur le comportement de leurs partisans. Les propos de leurs leaders les galvanisent. Ils ont alors l’impression que leur passage à l’acte est justifié, explique le professeur de communication à Science-Po Paris, Philippe Moreau-Chevrolet.

"Les personnes qui passent à l'acte sont des personnes qui pensent que le leader leur a demandé d'agir pour le bien commun" affirme-t-il dans l'émission Tout un monde. "Ce sont des gens qui, à force d'écouter les discours du leader politique, vont finir par être tellement intoxiqués qu'ils vont, au premier degré, penser que leurs adversaires sont des ennemis".

Les personnes qui passent à l'acte sont des personnes qui pensent que le leader leur a demandé d'agir pour le bien commun

Philippe Moreau-Chevrolet, professeur de communication à Science-Po Paris

Renforcer les idées reçues

Ce phénomène s'observe particulièrement lorsque les propos des politiciens viennent renforcer les opinions de leur auditoire. "N'importe quel message qui utilise des termes qui résonnent avec vos propres croyances et votre propre manière de voir le monde va avoir tendance à être bien accueilli", indique Steve Oswald, maître d’enseignement et de recherche en linguistique anglaise à l'Université de Fribourg.

"Des messages qui contiennent des idées avec lesquelles nous ne sommes pas d'accord vont être plutôt rejetés", poursuit-il.

La violence verbale attise les frustrations, confirme certaines idées reçues et encourage ainsi le passage à l’acte. Ce fut par exemple le cas avec le discours de Donald Trump, en janvier 2021, accusant les démocrates de fraudes électorales, qui avait conduit à l’assaut du Capitole.

La technique du "dog whistle"

Ces appels à la violence ne sont toutefois jamais explicites. Les leaders politiques utilisent notamment la technique du "dog whistle" ("sifflet pour chien" en français), en référence à ces sifflets qui envoient des sons entendus uniquement par les chiens. En politique, cela correspond à l'utilisation d'un langage codé ou suggestif destiné à un certain groupe de personnes, mais que les autres ne peuvent pas comprendre.

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"Il n'y a jamais de légitimation totale de la violence physique de la part des leaders politiques (...) mais ils peuvent le laisser entendre", explique Philippe Moreau-Chevrolet. "C'est-à-dire qu'on ne dit pas tout à fait qu'on appelle à détester une catégorie de gens, mais on va installer tous les mots-clés et toutes les expressions qui font qu'on va les détester".

Le poids des mots

Les psychologues, les linguistes et les philosophes s’accordent sur le poids des mots négatifs, stigmatisants ou humiliants, qui déshumanisent l'adversaire. Ceux-ci n'ont même pas besoin d'être particulièrement violents pour être néfastes. Lundi, en France, la députée de La France insoumise Sophia Chikirou a par exemple qualifié certains socialistes de "punaises de lit".

Si cela peut paraître anecdotique, nier ainsi la dignité et la valeur d’un individu ou d’une catégorie de personnes, peut encourager le passage à l’acte, rappellent les experts. A travers l’histoire, cette déshumanisation a parfois justifié les pires atrocités.

"Sur le long terme, on animalise des adversaires politiques et pour ceux qui suivent cette rhétorique, il devient presque naturel de passer à l'acte et de devenir violent", déclare Philippe Moreau-Chevrolet.

"Norme de permissibilité"

L'un des autres problèmes relevés est le recul de la "norme de permissibilité". Les discours politiques ont toujours suscité des émotions ou des réactions. Il s'agit même d'attitudes saines pour la vie démocratique. Le désaccord peut être vif, mais en temps normal, il est régulé par des règles acceptées collectivement.

Le recours au registre guerrier ou insultant fait cependant reculer ces limites. La banalisation lente et progressive de la violence verbale repousse le curseur et les réseaux sociaux amplifient ce phénomène. "Si on a, du point de vue du discours, l'habitude de dénigrer un groupe de personnes, c'est une agression qui est déjà tolérée", affirme Steve Oswald.

A partir du moment où on autorise le dénigrement de manière orale sans sanction, c'est un peu une manière de dire que ce comportement est acceptable

Steve Oswald, maître d’enseignement et de recherche en linguistique anglaise à l'Université de Fribourg

"A partir du moment où on autorise le dénigrement de manière orale sans sanction, c'est un peu une manière de dire que ce comportement est acceptable", ajoute le linguiste. La permissibilité de la violence verbale va donc légitimer la violence physique.

Selon les experts, la violence verbale contribue par ailleurs à la polarisation de l’opinion publique. Une récente étude du Chicago Project on Security and Threats montre ainsi qu’une partie de la population américaine soutient la violence politique. Environ 10% des adultes seraient favorables à l’utilisation de la force contre Donald Trump. A l’inverse, 7% soutiennent le recours à une forme de violence pour le faire revenir à la Maison Blanche.

Sujet radio: Agnès Millot

Adaptation web: Emilie Délétroz

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