De plus en plus d'Israéliens ne croient plus en la possibilité d'une "victoire totale"
Dès le début du conflit, Benjamin Netanyahu a défini cette "victoire totale" par deux objectifs: ramener les otages et détruire les capacités militaires et politiques du Hamas. Sept mois plus tard, aucun de ces buts n'a toutefois été atteint. L'armée israélienne affirme pourtant avoir tué environ 13'000 combattants du Hamas sur une base estimée à 30'000. Elle dit aussi avoir détruit une grande partie du vaste réseau de tunnels creusés sous Gaza.
Mais selon la BBC, les chiffres ne sont pas vérifiés et certains noms figurent à double. Les chefs du Hamas, à l'instar de Yahya Sinwar, sont toujours vivants et de larges tronçons de tunnels semblent être toujours là. Une partie de la population israélienne dénonce donc une certaine manipulation de l'information de la part du gouvernement, qui n'a pas tenu ses promesses de victoire totale.
Je crois que de moins en moins d'Israéliens croient en l'éradication totale du Hamas
"Nous croyons encore qu'il est possible de forcer les dirigeants du Hamas à partir en exil et de les remplacer par une autre force à Gaza. Mais l'éradication totale du Hamas, je pense que de moins en moins d'Israéliens y croient", renchérit Ilan Greilsammer, professeur de sciences politiques à l'Université Bar-Ilan de Tel-Aviv, mardi au micro de l'émission Tout un monde de la RTS.
>> Lire aussi : En Israël, les manifestations contre le gouvernement se multiplient, avec notamment des mamans de soldats
Evolution des opinions
Différents sondages réalisés en Israël montrent ainsi un vrai changement d'attitude de la population au cours de ces derniers mois. Celui réalisé par l'Israel Democracy Institute révèle que 62% des Israéliens préféreraient un accord impliquant une libération des otages plutôt qu'une intervention de l'armée à Rafah, alors que 32% seulement pensent l'inverse.
Les deux buts de guerre étaient peut-être sur le même plan, mais si les otages ne sont pas libérés très prochainement, ce sont des cadavres que l'on recevra, ce qui est inacceptable pour les Israéliens
Jusqu'à présent, seuls trois otages ont été libérés par des opérations militaires, alors que 132 sont toujours aux mains du Hamas, ce qui explique les sentiments très mitigés de la population israélienne vis-à-vis de l'offensive sur Rafah. Les priorités de la population israélienne ont donc changé, estime Ilan Greilsammer.
>> Lire aussi : Aviva Siegel, ex-otage du Hamas: "J'ai eu de la chance de survivre"
"Les deux buts de guerre - l'écrasement du Hamas et la libération des otages - étaient peut-être sur le même plan", explique-t-il, "mais si les otages ne sont pas libérés très prochainement, ce sont des cadavres que l'on recevra, ce qui est inacceptable pour les Israéliens".
Payer le prix de la guerre
S'il existe encore un clivage entre la population politiquement à gauche et celle de droite, une perte de confiance en une victoire d'Israël et une attitude critique envers le Premier ministre Benjamin Netanyahu peut s'observer des deux côtés de l'échiquier politique, analyse Yedidia Stern, président du Jewish People Policy Institute, qui vient de publier un sondage sur la question. Selon lui, un certain nombre de personnes à droite seraient favorables à un cessez-le-feu dès à présent, quitte à poursuivre la guerre ensuite.
C'est la guerre la plus longue de l'histoire d'Israël. Elle est plus dure que ce à quoi on s'attendait, ce qui remet en question les capacités d'Israël
La population ressent également une certaine lassitude face à une guerre qui se prolonge, sans perspective de résolution. "C'est la guerre la plus longue de l'histoire d'Israël", indique Daniel Bensimon, journaliste pour le journal Haaretz. "Elle est plus dure que ce à quoi on s'attendait, ce qui remet en question les capacités d'Israël".
Entre les combats dans la bande de Gaza et la pression du Hezbollah au Nord, des dizaines de milliers d'Israéliens ne peuvent par ailleurs toujours pas réintégrer leurs maisons, que ce soit près de la frontière libanaise ou à proximité de celle de Gaza. Les Israéliens ont donc le sentiment de devoir payer un prix très lourd, d'autant plus que cette guerre irrite l'allié américain et isole de plus en plus Israël sur la scène internationale.
>> Lire aussi : Quels risques d'escalade entre Israël et le Hezbollah libanais?
Quelle suite?
L'incertitude règne également quant à l'avenir politique du pays. Benjamin Netanyahu a beau être au plus bas dans les sondages, aucune élection anticipée n'est en vue. Pour Daniel Bensimon, les Israéliens ne sont pas dupes. Ils savent que la stratégie du Premier ministre est de prolonger la guerre pour rester le plus longtemps possible au pouvoir, mais la suite pourrait s'avérer plus chaotique, même avec un autre gouvernement.
"La réponse n'est pas la même qu'elle pouvait être il y a dix ou quinze ans. On a un public ultra-orthodoxe, ultra-nationaliste et des colons dans les territoires qui voient les choses différemment", explique-t-il. Alors que les Israéliens se posent de plus en plus de questions, beaucoup restent donc encore sans réponse.
Francesca Argiroffo/edel