Modifié

De quelle aide militaire l’Ukraine manque-t-elle vraiment?

Un drapeau ukrainien sur les ruines d'un village récemment repris par les forces ukrainiennes. [Reuters - Oleksandr Ratushniak]
De quelle aide militaire l’Ukraine manque-t-elle? Interview du Général François Chauvancy / Tout un monde / 8 min. / le 2 février 2024
Alors que l'Union européenne vient de débloquer une aide civile de 50 milliards d'euros pour garantir le fonctionnement de l'Etat ukrainien, les besoins de ce dernier en matière militaire restent aigus. La reconstruction de son industrie de l'armement paraît cruciale, selon l'analyse du général français François Chauvancy.

"L'Ukraine est en profonde difficulté financière, pour des raisons évidentes: il faut financer la guerre. Cinquante pour cent de son budget sont consacrés à ses dépenses militaires", souligne le général François Chauvancy, consultant en géopolitique et rédacteur en chef de la revue "Défense" de l'Institut des Hautes Etudes de Défense Nationale (Union-IHEDN).

"Or, l'Etat ukrainien doit continuer à fonctionner, à payer ses fonctionnaires, ses retraités, et doit aussi soutenir l'économie. Cette aide européenne - composée de deux tiers de prêts et d'un tiers de dons - était indispensable pour aider l'Ukraine du côté civil, principalement", indique-t-il dans l'émission Tout un monde de la RTS.

>> Lire aussi : L’Union européenne décide d’accorder une aide de 50 milliards d’euros à l’Ukraine sur quatre ans

Industrie de l'armement à reconstruire

Il s'agit donc d'une forme indirecte d'aide à la guerre, mais également une forme de soutien politique. "Cette somme de 50 milliards d'euros représente 12,5 milliards par an pendant quatre ans, ce qui va permettre à l'Etat ukrainien de tenir la guerre dans la durée. Parce qu'il ne faut pas se faire d'illusions: la guerre ne se terminera pas demain", relève le haut gradé.

Par rapport aux besoins effectifs de l'Ukraine en matière d'armement, une distinction mérite d'être faite entre les demandes de l'Ukraine - "elle demande tout: obus pour l'artillerie, avions de chasse et avant tout des munitions", observe François Chauvancy - et son principal besoin, à savoir construire ou reconstruire son industrie d'armement. Dans le passé, sous l'ère soviétique, l'industrie ukrainienne de l'armement était en effet très importante, avant de devoir se reconstituer sur des bases nationales, surtout depuis la crise de 2014.

Ce n'est plus tellement le problème de l'équipement militaire qui est en jeu, mais la capacité humaine de l'Ukraine à faire face à l'avancée russe

Général François Chauvancy

"Faire venir de l'armement de l'autre bout du monde, cela prend du temps", sans compter la dépendance vis-à-vis de l'étranger. "Reconstruire l'industrie d'armement est donc une manière de rétablir la souveraineté ukrainienne dans ce domaine", souligne François Chauvancy.

>> Lire aussi : Face au manque de munitions, l'Ukraine s'organise pour en produire elle-même

En face, l'armée russe a été capable de se reconstituer malgré ses insuffisances notoires et ses défaites initiales. "Elle est en économie de guerre, a une démographie - même déclinante - importante par rapport à l'Ukraine et est capable d'envoyer énormément de forces, de fantassins, de blindés, d'artillerie ou même de drones sur le terrain, où elle a aujourd'hui repris l'avantage."

Capacité humaine cruciale

Pour les Ukrainiens, il s'agit en face de tenir la ligne de front. Notamment grâce à l'apport de munitions, mais surtout par le renouvellement des ressources humaines. "Ce n'est pas pour rien que le débat porté devant le Parlement ukrainien aujourd'hui concerne la mobilisation de 450'000 à 500'000 hommes supplémentaires. Je dirais que ce n'est plus tellement le problème de l'équipement militaire qui est en jeu, mais la capacité humaine de l'Ukraine à faire face à l'avancée russe", analyse le haut gradé.

Dans ce contexte-là, le nouveau paquet d'aide américaine, toujours bloqué par le Congrès, est indispensable. "Les Américains ont fourni la majeure partie de l'équipement militaire, alors que les Européens ont fourni la majeure partie de l'aide économique et humanitaire. Sans les Etats-Unis, l'Ukraine aurait du mal à faire face. Or, les Américains ont aujourd'hui vidé leurs stocks, n'ont pas mis encore toutes leurs usines en état de fonctionnement d'économie de guerre, alors qu'ils avaient eux aussi connu dans le passé une certaine désagrégation de leur outil militaire."

 Il y a un problème de volonté, et ce n'est pas l'équipement militaire, même américain, qui changera les choses

Général François Chauvancy

Pour François Chauvancy, c'est en 2024 que tout va se jouer. "L'échec de la contre-offensive de juin dernier est avéré. C'était soit ça marche, soit il faudra revoir la stratégie. Ca n'a pas marché, mais la stratégie n'a pas été revue. Or, le reste du monde n'est plus capable de fournir des munitions. D'autant que l'armée ukrainienne, même si on ne connaît pas les chiffres, a été fortement amoindrie par les combats."

>> Lire aussi : Après l'échec de la contre-offensive ukrainienne, quelles perspectives militaires pour Kiev et Moscou?

Et l'expert de pointer vers les manifestations récentes de familles de soldats au front, côté ukrainien comme russe d'ailleurs, qui demandent que leurs proches rentrent à la maison. "En même temps, il y a donc un problème de volonté, et ce n'est pas l'équipement militaire, même américain, qui changera les choses", souligne le haut gradé.

Propos recueillis par Eric Guevarra-Frey Adaptation web: Katharina Kubicek

Publié Modifié