Le 22 mai, le chef adjoint de l’état-major en Russie, le général Vadim Chamarine a été placé en détention provisoire, accusé, selon les médias, d’avoir accepté un pot-de-vin considérable. Quelques heures plus tard, c’était au tour du chef du département de l’approvisionnement du ministère de la Défense. Les jours et les semaines qui ont précédé, trois autres arrestations ont eu lieu, dont la première, retentissante, du vice-ministre de la Défense Timour Ivanov.
Quel signal le Kremlin cherche-t-il à envoyer avec ces arrestations en cascade que certains qualifient de purges? Est-ce une manœuvre du président russe directement? Certains experts parlent plutôt d’une lutte entre le ministère de la Défense d’une part et les services de sécurité d’autre part.
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"Point culminant des luttes intestines"
Ces purges sont "le point culminant des luttes intestines en temps de guerre, entre les services de sécurité et le ministère de la Défense, une compétition pour les ressources", estime une source dans le journal The Moscow Times. Dans cette lutte, ce sont les services de sécurité – le FSB – qui auraient remporté une victoire d’étape.
Il y a deux semaines, un nouveau ministre de la Défense, Andreï Belooussov, a été nommé, avec pour mandat de réduire la corruption et de rationaliser les dépenses. Il s’agit d’un économiste et non d’un militaire. Mais davantage que son arrivée, c’est le départ du précédent ministre, Sergueï Choïgou, qui a peut-être permis cette séquence d’arrestations, car il ne pouvait plus jouer le rôle de protecteur pour certains responsables du ministère qui se sont donc retrouvés dans le viseur du FSB.
Des problèmes de corruption connus depuis longtemps
Par le passé, la presse indépendante et l'opposition avaient déjà révélé des cas de corruption au sein du ministère de la Défense, mais sans que le pouvoir agisse jusque-là. Des blogueurs pro-guerre, ultranationalistes, en parlaient également, de même qu'Evgueni Prigojine, l'ancien patron de Wagner qui est mort l’an dernier, qui critiquait la corruption au sein de l’armée.
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Parmi les responsables arrêtés ces derniers jours figure un général ayant alerté sur les erreurs du haut commandement de l’armée, Ivan Popov, ancien commandant de la 58e armée combattant en Ukraine. Il bénéficiait d'une réelle popularité auprès de ses hommes.
Son arrestation, alors qu'il avait déjà été limogé depuis quelque temps, est vu par certains experts comme une volonté du pouvoir d'étouffer toutes velléités de critiques ou toute personnalité devenant trop populaire.
La corruption est donc connue depuis longtemps. Mais si les enquêtes ne sont lancées que maintenant, c'est que l'armée n'est plus dans une situation de fragilité sur le terrain, comme au début de la guerre, explique au micro de Tout un monde Igor Delanoe, directeur adjoint de l’Observatoire franco-russe à Moscou
""Si cela avait été fait alors que l'armée russe était en difficulté, à l'été-automne 2022 (…), peut-être que les risques structurels auraient été un peu plus importants. Là, aujourd'hui, il faut croire que le pouvoir politique se sent suffisamment en confiance sur le champ de bataille – et évidemment politiquement, puisque Poutine a été réélu – pour lancer cette purge."
Aux avancées sur le champ de bataille s’ajoute donc ce qui est présenté comme un acte de fermeté et de nettoyage à l’interne, permettant au pouvoir de renforcer son discours.
D'énormes sommes d'argent brassées
En outre, aujourd'hui en Russie, le secteur de la défense brasse d'énormes sommes d'argent. Les dépenses militaires ont explosé depuis deux ans, alors que le Kremlin s'engage dans une guerre longue. Ces budgets militaires attisent forcément les convoitises et renforcent les luttes internes. Le pouvoir est face à la nécessité d’en rationaliser la gestion, pour éviter qu'une corruption à trop grande échelle ne mette en danger les performances militaires sur le terrain.
Enfin, ces purges, au sens plus large, sont une manière de montrer aux élites que rien ne garantit une protection totale et qu'elles peuvent se retrouver du jour au lendemain, tout comme les membres de la dissidence politique, sur le banc des accusés.
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Isabelle Cornaz/fgn