Le président argentin Javier Milei et Sam Altman se sont rencontrés fin mai pour discuter du projet. L'objectif est de créer un réseau financier mondial sécurisé basé sur l'utilisation de l'iris comme preuve en ligne de l'identité des utilisateurs [lire encadré].
Alors que l'Argentine est marquée par la récession économique, leur proposition a trouvé des clients. Depuis quelques mois, il ne faut plus attendre que la nuit tombe pour voir une file se former devant la boîte de nuit du Palermo Groove. Et ceux qui patientent ne le font pas pour écouter de la musique: "Les gens viennent se faire scanner les yeux", explique Nahuel, qui en sort tout juste, au micro de l'émission Tout un monde mardi.
De la cryptomonnaie, puis des pesos
Le processus est simple: "Ils te scannent, ça ne fait pas mal, ce n’est pas désagréable. Une fois que ton compte est validé, ils te donnent des cryptomonnaies que tu peux ensuite convertir en pesos argentins", détaille Nahuel. En échange de ses données biométriques, il a reçu dix jetons "Worldcoin", d'une valeur d'environ 60 francs suisses.
Si le jeune homme de 23 ans comprend parfaitement comment fonctionnent les cryptomonnaies et n'aura aucun mal à les convertir en pesos, ce n'est pas le cas de tout le monde dans la file. "Moi, la technologie, je n'y comprends rien", s'amuse Francisca, 78 ans. "Je vais devoir poser la question."
Cette retraitée ne sait pas non plus quelle utilisation sera faite de ses données biométriques. "J’espère juste que ce n’est pas comme dans cette série où ils utilisent ces données pour te contrôler tout le temps!", s'inquiète-t-elle.
Besoin d'argent
Ce que Francisca sait, en revanche, c'est qu'avec une inflation annuelle de 288%, elle ne peut pas se passer des quelques pesos qu'elle récupérera après avoir scanné son iris. "La situation économique en Argentine est compliquée et j'ai un fils handicapé, donc tout est bon à prendre", indique-t-elle.
Nahuel est dans la même situation: boucler les fins de mois est de plus en plus difficile. Mais lui ne se préoccupe pas du futur de ses données biométriques. Tools For Humanity "ne l'explique pas et je ne le leur ai pas demandé", reconnaît-il. "Je sais que ce n’est pas bien, mais j’avais besoin d'argent, car avec la situation économique du pays, c’est impossible de s’en sortir. Si j’allais mieux économiquement et que j’avais un travail stable, je ne l’aurais jamais fait."
Livreur à vélo, Nahuel affirme pédaler 12h par jour pour gagner 300'000 pesos par mois (environ 300 francs suisses), à peine plus que le seuil de pauvreté.
>> Pour aller plus loin, lire aussi : La classe moyenne argentine ébranlée par Javier Milei, après l'avoir plébiscité dans les urnes
Alors que la politique d’austérité de Javier Milei a plongé l’économie argentine en récession et que les salaires stagnent pendant que les prix continuent d'augmenter, beaucoup de gens autour de lui ont cédé aux sirènes de Worldcoin ces derniers mois.
"Un salaire minimum ne suffit pas pour payer le loyer et la nourriture, donc les gens se scannent les yeux pour arriver à la fin du mois avec quelque chose à manger sur la table", affirme encore Nahuel.
Théo Conscience /juma
Un scan à quelles fins?
A l’intérieur de la boîte de nuit reconvertie en point de collecte de données biométriques, trois sphères couleur argent sombre - tout droit sorties d’un vieux film de science-fiction - sont installées à hauteur d’œil. Ce sont les "Orbs": elles contiennent chacune une caméra intégrée pour scanner les iris.
Des sous-traitants de Worldcoin sont présents pour accompagner les gens et répondre à leurs questions. L’un d’eux explique qu’aucune donnée personnelle comme le nom ou le prénom n’est demandée et que les données biométriques récoltées sont entièrement anonymes.
L’objectif, poursuit-il, est de créer à terme un réseau financier global sécurisé, où chaque utilisateur pourra s’identifier grâce au passeport numérique unique associé à son iris.
Ces explications ont, semble-t-il, convaincu Lucas, 27 ans, qui ressort rassuré. "Quand tu te scannes les yeux, l'application te demande une autorisation pour savoir si elle peut partager tes données ou non. C'est sûr à 100%, ça ne pourrait pas être plus sécurisé", estime-t-il.
Enquêtes sur la protection des données
Malgré ces garanties, la question de la protection des données récoltées par Worldcoin suscite des inquiétudes. En mars, l’Espagne et le Portugal ont suspendu les activités de l’entreprise sur leur territoire le temps de mener l’enquête. Mi-avril, la province de Buenos Aires a également déposé un recours pour exiger des éclaircissements à la firme.
Lucas, pour qui cette base de données n'a pour l'instant "pas d'utilité ou de valeur", n'est pas particulièrement inquiet. "Ensuite, selon moi et selon beaucoup de gens, l’entreprise vendra cette base de données à des banques ou à des entités qui pourraient en avoir besoin, rien de plus", poursuit-il. Le manifeste de Worldcoin indique que l’objectif final serait la mise en place d’un revenu universel.
Pour plus de transparence, l’entreprise a également rendu son programme accessible en open source. Mais les Etats-Unis, pays d’origine de ses créateurs, n'ont pas autorisé l'entreprise à récolter des données biométriques.