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Deux ans après la mort de Mahsa Amini, "la résistance des femmes est plus forte que les restrictions"

Deux ans après la mort de Mahsa Amini, la résistance silencieuse des femmes continue en Iran malgré la répression
Deux ans après la mort de Mahsa Amini, la résistance silencieuse des femmes continue en Iran malgré la répression / 19h30 / 2 min. / le 15 septembre 2024
Exécutions à grande échelle, impunité pour les auteurs, persécution des proches endeuillés: le bilan est sombre en Iran, deux ans après la mort de Mahsa Amini, qui avait provoqué une révolte populaire. Malgré tout, certaines choses ont changé dans la République islamique.

Qu'ils se trouvent en exil ou derrière les barreaux, les militants antirégime veulent croire que le mouvement de contestation né après la mort en détention de l'Iranienne de 22 ans, arrêtée en septembre 2022 pour ne pas avoir respecté le strict code vestimentaire islamique, n'aura pas été vain.

Selon Sanaz, professeure de yoga et directrice d'un club de fitness en Iran, malgré les difficultés et les pressions, beaucoup de choses ont changé. "Je pense qu’après Mahsa, il y a eu un profond changement", affirme-t-elle dans le 12h30 de la RTS. "Bien sûr, les pressions ont aussi augmenté, mais je pense que la résistance des femmes est plus forte que les restrictions".

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De plus en plus d'Iraniennes se promènent désormais dans les rues sans voile et, depuis quelques semaines, en jupe, sans que la police n'intervienne. Des jeunes se promènent également avec des manches courtes ou le nombril apparent. Ces scènes étaient inimaginables avant le mouvement de protestation de 2022.

Dénonçant le port obligatoire du voile et le conservatisme religieux, les manifestants, menés par des femmes, avaient défié le pouvoir iranien pendant des mois, au prix d'une lourde répression: au moins 551 personnes avaient été tuées, et des milliers d'autres arrêtées, selon des ONG de défense des droits humains.

Exécutions

Si les protestations sont aujourd'hui limitées et sporadiques, le pouvoir les écrase malgré tout toujours aussi méthodiquement: l'Iran a exécuté dix hommes condamnés à la peine capitale dans des affaires liées au mouvement, dont le dernier a été pendu en août.

Les groupes de défense des droits humains dénoncent aussi la multiplication des exécutions pour tous types d'infractions, destinées à créer la peur et dissuader les opposants de toute velléité contestataire.

Selon l'organisation Iran Human Rights (IHR), basée en Norvège, au moins 402 personnes ont été exécutées au cours des huit premiers mois de l'année. "D'innombrables personnes en Iran continuent de subir les conséquences de la répression brutale des autorités", affirme Diana Eltahawy, d'Amnesty International.

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Répression contre les femmes

Pendant ce temps, les autorités s'acharnent à faire respecter la réglementation sur le port obligatoire du hijab, dont l'abolition était une revendication clé des manifestants. Amnesty note une "augmentation visible des patrouilles à pied, à moto, en voiture et en fourgon de police dans les espaces publics".

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Des experts onusiens accusent l'Iran d'"intensifier" la répression contre les femmes, via notamment le recours récurrent à la violence, "coups" ou "gifles" en guise de sanctions.

>> Lire aussi : Des experts de l'ONU accusent l'Iran d'"intensifier" la répression des femmes

>> Ecouter aussi le sujet de La Matinale :

Des femmes iraniennes ne portant pas le foulard obligatoire, ou hijab, passent devant une banderole montrant des missiles lancés depuis la carte iranienne dans le nord de Téhéran, en Iran, le 19 avril 2024. [Keystone - AP Photo/Vahid Salemi]Keystone - AP Photo/Vahid Salemi
Deux ans après la mort de Mahsa Amini, la société iranienne a profondément changé / La Matinale / 1 min. / le 16 septembre 2024

edel avec afp

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Mitra Sohrabi: "L'humanité l'emportera sur ce régime oppressif"

Mitra Sohrabi, avocate et coprésidente de l'Association Femme, Vie, Liberté en Suisse, affirme que bien que les manifestations en Iran aient cessé début 2023, l'esprit de révolte "est toujours bien vivant".

"Il n'y a jamais eu de tolérance, pour être très clair. Que ce soit sous les gouvernements prétendument réformateurs ou conservateurs, la stricte obligation du port du voile a toujours été maintenue. Le Parlement s'apprête à adopter une loi sur la chasteté, destinée à renforcer ce contrôle. Elle donnera aux forces de police, aux bassidji et aux gardiens de la révolution, qui les supervisent, le pouvoir de réprimer violemment, parfois dans le sang, les femmes qui refusent de se conformer à cette obligation", explique-t-elle, dimanche dans l'émission de la RTS Forum.

"Peur du régime"

Le sociologue Farhad Khosro publie un livre sur le mouvement "Femme, Vie, Liberté". Selon lui, le mouvement a échoué sur le plan politique, puisque Ali Khamenei est toujours au pouvoir, mais il a réussi sur le plan culturel.

"Il y a un avant et un après le 16 septembre 2022. C'est la première fois que l'anniversaire de la mort, ou plutôt du meurtre de Mahsa Amini, est commémoré en Iran. Des manifestations mondiales ont lieu, ce qui est tout à fait nouveau", estime Mitra Sohrabi.

Les Iraniens continuent de vivre leur quotidien, espérant un changement, tout en désobéissant chaque jour. Pendant ce temps, le régime poursuit sa répression sanglante

Mitra Sohrabi, avocate et coprésidente de l'Association Femme, Vie, Liberté

Elle souligne aussi que le gouvernement est terrifié par une possible réaction populaire. "Samedi, les autorités ont même ouvert un barrage pour inonder la route menant au cimetière où repose Mahsa Amini, afin d'empêcher la population de s'y rendre. Cela montre la véritable peur du régime face à la mobilisation du peuple."

"La seule différence entre le nouveau président Massoud Pezeshkian et Ebrahim Raïssi, c'est qu'il ne porte pas de turban. Pour le reste, il appartient exactement à la même lignée politique que ces autres dirigeants. Il est clair que la population iranienne ne croit plus en ce système. Elle n'a pas participé aux élections législatives de mars dernier et ne s'est pas déplacée pour élire un nouveau président. Les Iraniens continuent de vivre leur quotidien, espérant un changement, tout en désobéissant chaque jour. Pendant ce temps, le régime poursuit sa répression sanglante."

"Le mouvement Femme, Vie, Liberté va réussir. Pourquoi? Parce que nous pensons qu'il est réaliste, et non naïf, de croire qu'un mouvement prônant l'égalité et les droits de l'Homme, dans un pays dominé par une république islamique, finira par triompher. Ce mouvement égalitaire, profondément humaniste, qui défend aussi la joie dans un pays où le régime impose la noirceur, ne peut qu'aboutir. Pour nous, l'humanité l'emportera sur ce régime oppressif. La seule question est: quand? Et à cela, personne ne peut répondre", assure Mitra Sohrabi.

>> Voir l'interview de Mitra Sohrab dans Forum :

Le mouvement de contestation iranien, deux ans après la mort de Masha Amini: interview de Mitra Sohrabi
Le mouvement de contestation iranien, deux ans après la mort de Masha Amini: interview de Mitra Sohrabi / Forum / 6 min. / le 15 septembre 2024