Deux visions des Etats-Unis: Kamala Harris à son avantage face à un Donald Trump agacé
"Je pense que c'était un super débat", a lancé Donald Trump quelques minutes après la fin du débat, lors d'une apparition surprise en salle de presse. "J'ai trouvé que c'était ma meilleure performance", a-t-il dit, estimant avoir "mis en évidence" que les Etats-Unis sont "une nation en déclin".
Après quelques minutes d'effervescence et de cacophonie, Donald Trump a fait le tour de la salle de presse avant de s'éclipser. "Le fait qu'il se soit présenté dans le centre des médias et dans la spin room à la fin... nous n'avions pas vu ça depuis des années", a souligné Aaron Kall, directeur des débats à l'université du Michigan. Selon lui, cela montre que le républicain veut "changer de sujet le plus vite possible".
Une stratégie payante
Et pour cause: pour ce premier grand test, Kamala Harris a clairement cherché à énerver le républicain, et sa stratégie a fonctionné. Elle a souvent réussi à le faire sortir de ses gonds. Donald Trump a parlé cinq minutes de plus alors qu'elle est apparue calme et à l'aise, s'adressant souvent directement à la caméra pour faire passer ses messages.
À l'inverse, Donald Trump est apparu agacé à plusieurs reprises, perdant parfois le contrôle. Il a notamment affirmé que les sans-papiers haïtiens mangeaient les animaux de compagnie des Américains, soit précisément le genre de réponses chaotiques que son équipe de campagne espérait éviter.
Toutefois, si les téléspectateurs ont vu s'affronter deux visions diamétralement différentes de l’Amérique, sur le fond, ils n'en ont pas appris beaucoup plus sur les différentes propositions politiques, le débat se résumant souvent à une continuité des invectives que le républicain et la démocrate échangent depuis plusieurs semaines sur leurs réseaux sociaux.
Le politologue et maître de conférences en sciences politiques de l'Université d'Etat de Californie Julien Labarre observe toutefois une tentative de réconciliation de la part de Kamala Harris. "C'est la première fois en huit ans que les deux candidats se sont serré la main, à l'initiative de Kamala Harris", indique-t-il au micro de Forum. "Ça paraît banal, mais on est à un stade de polarisation tellement extrême aux Etats-Unis que ça ressort de façon assez évidente".
Le politologue note également un "recentrage" de la part de la candidate démocrate, qui tente de séduire une partie de l'électorat républicain. "Elle a fait plusieurs appels du pied aux électeurs qui possèdent des armes à feu en parlant du fait qu'elle détient une arme à feu", explique Julien Labarre. "Elle a fait référence au soutien qu'elle a récolté au sein du Parti républicain, tel que l'ancien vice-président Dick Cheney, et elle a parlé surtout du fait que l'Amérique est un pays qui ne demande qu'à être réconcilié, qu'il faut tourner la page de ces dizaines d'années de polarisation extrême".
"Harris n'est pas Biden"
Du côté de la presse américaine, le New York Times parle d'une "réussite totale" pour Kamala Harris parce qu'elle a pu "se définir et présenter ses projets", et qu'elle est parvenue à irriter Donald Trump en insistant sur ses condamnations pénales, la taille de ses meetings ou ses relations avec les dictateurs.
"Donald Trump est toujours un homme qui a du mal à garder son sang froid", analyse Julien Labarre. "Elle l'a provoqué durant tout le débat et à chaque fois, il a mordu à l'hameçon et a renvoyé une image qui est assez peu flatteuse".
Selon lui, Kamala Harris est ressortie victorieuse de ce débat, même si les conséquences restes encore incertaines. "Je ne sais pas si ça aura énormément d'influence sur le vote - en général, les débats n'ont pas beaucoup d'influence sur les intentions de vote - mais en tout cas, en termes d'image, c'était un match par KO", estime-t-il.
Politico titre de son côté: "Kamala Harris a commencé à cogner. Et elle ne s'est pas arrêtée." "Mauvaise nouvelle pour Trump: Harris n'est pas Biden", ironise une éditorialiste du Washington Post.
Le Wall Street Journal parle quant à lui d'un débat "houleux". Comme d'autres publications à tendance républicaine, le New York Post estime quant à lui que le débat était un "match à trois contre un" avec une modération partisane qui n'a fait du fact-checking que contre Donald Trump.
"Elle a fait mieux que ce que je pensais"
Du côté des partisans républicains, le soutien reste ferme vis-à-vis de Donald Trump, même si l'impression générale semblait mitigée à l'issue du débat. "Je dirais que ce n’était pas sa meilleure soirée, mais il n’était pas mauvais, il s’est bien débrouillé, malgré plusieurs questions à charge", estime un sympathisant mercredi dans un reportage de La Matinale en Arizona. "Je pense que tous les deux ont sorti des mots ou des phrases de leur contexte pour se faire entendre", témoigne une autre.
Dans cette salle entièrement décorée aux couleurs des Etats-Unis, la performance de Kamala Harris est jugée de manière contrastée. "Cette femme n’a aucune morale, aucune honte. Elle n'a fait que mentir", assène un homme. "Je lui tire mon chapeau, elle a fait mieux que ce que je pensais. Elle a su garder son sang-froid", salue un autre.
Pierrik Jordan avec afp
Des allégations sur l'économie, l'immigration et l'avortement sous la loupe
Au cours de ce premier débat, Kamala Harris et Donald Trump se sont invectivés sur leur bilan et leur programme respectif, à renfort d'approximations et de fausses informations. L'AFP a vérifié certaines d'entre elles sur les grands thèmes de la campagne.
Chômage et inflation
A la question de savoir si les Américains vivaient aujourd'hui dans de meilleures conditions qu'avant le mandat de Joe Biden, la démocrate n'a pas répondu directement mais a accusé son adversaire d'avoir laissé à son départ de la Maison Blanche le "pire taux de chômage depuis la Grande Dépression". Cette affirmation est trompeuse, car si le taux de chômage aux Etats-Unis a bel et bien atteint, en avril 2020, un sommet depuis les années 1930, c'était en pleine pandémie de Covid-19 et il était redescendu rapidement après.
Kamala Harris a aussi accusé son adversaire de vouloir mettre en place une taxe sur la vente de produits qui aurait un impact conséquent sur le pouvoir d'achat, ce que Donald Trump a nié. Il a toutefois reconnu qu'il imposerait des droits de douane de minimum 10% à certains pays, ce qui, selon de nombreux économistes, ferait grimper les prix à la consommation.
De son côté, Donald Trump a accusé l'administration Biden d'avoir ouvert la porte au plus haut taux d'inflation de l'histoire des Etats-Unis, affirmant que celui-ci avait atteint 21%, voire 60% pour certains produits. Cette affirmation est fausse, l'inflation ayant atteint un pic à 9,1% en 2022 après l'invasion de l'Ukraine par la Russie.
Moins de criminalité des immigrants
Le candidat républicain a faussement affirmé que "des millions de personnes" affluaient aux Etats-Unis "depuis les prisons, les établissements psychiatriques et les asiles d'aliénés" de l'étranger pour commettre des crimes.
Or, les crimes violents et les vols sont proches de leurs niveaux les plus bas depuis des décennies, selon les données du FBI de 2022, les plus récentes disponibles. Une étude publiée en juin 2023 a montré un déclin des taux d'incarcération parmi les immigrants depuis 1960. D'autres ont montré que les migrants commettent moins de crimes violents que les citoyens américains.
Pas "d'avortement après la naissance"
Enfin, le candidat républicain a dénoncé la "radicalité" supposée des démocrates sur la question de l'avortement, accusant notamment le candidat à la vice-présidence Tim Walz de soutenir "l'exécution de bébés après leur naissance", une allégation évidemment fausse, l'infanticide étant bien entendu illégal aux Etats-Unis. Un modérateur du débat a d'ailleurs corrigé le candidat républicain quand celui-ci a persisté.
"Nulle part en Amérique, une femme ne va aller au terme de sa grossesse pour demander un avortement", a ajouté Kamala Harris, accusant que Donald Trump prévoyait, s'il était élu, une interdiction fédérale de l'avortement. Ce que l'intéressé a immédiatement nié, renvoyant cette décision aux Etats.
>> Retour sur le débat en détails : Kamala Harris et Donald Trump ont croisé le fer dans un premier débat très électrique
Taylor Swift soutient Kamala Harris
La superstar américaine Taylor Swift a mis fin au suspense mardi en apportant son soutien à Kamala Harris juste après le débat entre les deux candidats à l'élection présidentielle.
Dans une publication sur Instagram immédiatement devenue virale, avec 3,6 millions de "J'aime" en un peu plus d'une heure, la chanteuse a dit avoir choisi la démocrate car elle "se bat pour les causes et les droits auxquels je crois".
Si elle n'a pas explicitement invité les "Swifties" - ses fans connus pour leur ardeur à la défendre et suivre ses tendances sur les réseaux sociaux - à l'imiter, elle a appelé chacun à "faire ses propres recherches sur les enjeux et les positions de ces candidats sur les sujets qui vous importent".
Avec Taylor Swift, la vice-présidente a reçu un soutien de poids, même s'il était depuis longtemps espéré.
Donald Trump a de son côté moins apprécié.
"Je n'étais pas un fan de Taylor Swift (...). Elle semble toujours soutenir un démocrate, et elle en paiera probablement le prix sur le marché" des ventes musicales, a déclaré le candidat républicain mercredi dans une interview très matinale sur Fox News.