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Du Jura bernois au front ukrainien: le périple d'une machine de déminage suisse en zone de guerre

Déminage: machine suisse au front
Déminage: machine suisse au front / Mise au point / 13 min. / le 19 mai 2024
La Suisse s’est fortement engagée pour le déminage humanitaire en Ukraine. Une machine et son chef des opérations ont fait pour la première fois le voyage de Tavannes, dans le Jura bernois, jusqu’à Tcherkassy. L'émission Mise au point a suivi ce périple d'environ 2500 kilomètres.

Selon les estimations, un tiers du territoire ukrainien - l'équivalent de quatre fois la Suisse - est aujourd'hui contaminé par des mines de toutes sortes, des bombes à sous munitions et des obus non explosés, faisant de l'Ukraine le pays le plus miné au monde. La Suisse a décidé de s'engager dans le déminage humanitaire de l'Ukraine en y consacrant 100 millions de francs, pour une tâche qui s'annonce ardue et qui pourrait prendre plusieurs dizaines d'années.

En septembre dernier, la Confédération a effectué un premier geste en finançant l'envoi vers l'Ukraine d'une machine de déminage de l'entreprise Digger, à Tavannes (BE). Pas plus grand qu'un van familial, l'engin pèse environ 12 tonnes et est capable d'encaisser l'explosion de mines anti-char. Il fait la fierté de son constructeur.

"C'est un véhicule blindé léger. Télécommandé aussi, et c'est ça le plus important, car il n'y a personne dedans. Il va aller dans les champs de mines pour faire le travail à la place des gens en toute sécurité", explique Frédéric Guerne, directeur de la Fondation Digger, dans Mise au point.

>> Lire aussi : La Suisse engagera 100 millions de francs pour déminer l'Ukraine

Un premier envoi dans un pays encore en guerre

Le coût total de l'opération est revenu à 1,2 million de francs, à la charge du Département fédéral de la défense. Le prix comprend la machine Digger D-250, le camion destiné à son transport, qui est resté sur place, et une remorque remplie de pièces de rechange.

La machine va aller dans les champs de mines pour faire le travail à la place des gens en toute sécurité

Frédéric Guerne, directeur de la Fondation Digger

Le DDPS a finalement franchi le pas après des mois d'hésitations, neutralité oblige. Berne craignait en effet que cette machine soit détournée de sa fonction humanitaire pour être utilisée à des fins militaires.

Un argument qui fait sourire son concepteur Frédéric Guerne: "Une machine comme ça fonctionne à 6 km/h. Quand elle démine, elle fait du 1 km/h. Si j'ai ça sur un champ de bataille, je ne l'appelle pas une machine de déminage, mais une cible."

Voyage en terrain hostile

Cela fait 25 ans que la Fondation Digger envoie ses machines de déminage dans le monde entier, mais c'est une première dans un pays encore en guerre. C'est le chef des opérations de l'entreprise du Jura bernois, Gentien Piaget, qui s'est rendu sur place, avec un brin d'appréhension.

"C'est une tension normale avant chaque opération. Ma famille? Elle se réjouit que je sois de retour", confessait-il avant son départ pour l'Ukraine, où il est chargé de former cinq apprentis démineurs.

Le périple a duré quatre jours sur 2500 kilomètres. Il a été orchestré par l'ONG Van For Life, une organisation spécialisée dans le transport humanitaire. Arrivée à Tcherkassy, la machine a été livrée à son destinataire: le Service ukrainien de la protection civile.

Ici, c'est pour de vrai. Ça souligne le travail que l'on fait

Gentien Piaget, chef des opérations chez la Fondation Digger

Si la ville du centre de l'Ukraine se trouve relativement loin du front, des missiles russes se sont abattus peu après l'arrivée de la machine de déminage, faisant sept blessés et d'importants dégâts.

Sur le terrain d'entraînement, Gentien Piaget a fait un constat sans appel, lui qui a pourtant connu pas mal de coins chauds de la planète. "Il y a un peu une boule au ventre. On se dit que ce n'est pas que des choses qu'on voit à la télévision ou sur internet, que c'est pour de vrai. Mais ça souligne totalement le travail que l'on fait ici et ça donne même envie d'y aller franchement."

Cinq jours de formation

L'employé de la Fondation Digger a eu cinq jours pour apprendre à ses apprentis à piloter leur nouvelle machine à l'aide d'une manette de commandes attachée sur le ventre. "C'est certain que nous n'avons pas beaucoup de temps, mais ils apprennent vite. On voit qu'ils sont motivés, d'une part, et qu'ils ont des connaissances mécaniques qui sont déjà bien là", a-t-il relevé.

Arrivée à Tcherkassy de la démineuse D-250 après un périple qui l'a menée des sapins du Jura aux plaines ukrainiennes.
L'arrivée à Tcherkassy de la démineuse D-250 après un périple qui l'a menée des sapins du Jura bernois aux plaines ukrainiennes.

La fraiseuse laboure le sol jusqu'à 20 centimètres de profondeur à raison de 450 tours par minute. "Jusque-là, ça va pas mal. Ils commencent à prendre le coup", a rapidement constaté Gentien Piaget, avant d'envoyer un "good job" à Artur Kovalov, 25 ans, l'un de ses cinq apprentis.

Après quelques jours de formation au pilotage de la machine de déminage, les progrès ont vite été constatés. "Ce matin, Artur m'a tanné pour faire une ligne en manuel. Il n'a pas réussi la première, c'était difficile, mais là il est en train d'y arriver. Il est content et moi aussi", a souri le chef des opérations.

Un certificat avant de partir sur le terrain

Au terme de leur instruction, les cinq Ukrainiens ont reçu un diplôme pour l'utilisation des machines. Son certificat en main, Artur Kovalov oscillait entre satisfaction et appréhension.

"Je suis toujours un peu stressé, parce que là nous sommes dans la théorie et l'apprentissage. Mais c'est toujours inquiétant de voir à quoi nous allons être confrontés dans la réalité", indique-t-il.

Avec des machines comme la D-250, nous diminuons le temps nécessaire pour permettre aux gens de rentrer chez eux

Oleksandr Ievpak, responsable de la sécurité civile ukrainienne

Car pour Artur et ses camarades, le plus dur reste à faire. "La priorité est de déminer les infrastructures dans les territoires libérés, de restaurer les installations de survie dans les zones peuplées, comme les lignes d'électricité, de gaz, les voies de communication. Avec des machines comme celles-là, nous diminuons le temps nécessaire pour restaurer les réseaux et permettre le retour des gens chez eux", explique Oleksandr Ievpak, responsable de la sécurité civile ukrainienne.

Une fois prête, l'équipe de déminage sera envoyée dans la région de Kherson, au sud de l'Ukraine, pratiquement sur la ligne de front. "Ils vont aller dans des zones qui sont dangereuses, pas seulement pour le déminage, mais aussi le contexte. Bien sûr, on s'attache aux gens, donc c'est un petit pincement quand même", conclut Gentien Piaget.

>> Revoir aussi le sujet du 19h30 sur l'agrandissement de l'unité de production de l'entre prise Digger :

La Fondation Digger à Tavannes (BE) va agrandir son unité de production de démineuses, très demandées en Ukraine
La Fondation Digger à Tavannes (BE) va agrandir son unité de production de démineuses, très demandées en Ukraine / 19h30 / 2 min. / le 24 janvier 2024

Reportage TV: Pierre Bavaud et Maurine Mercier

Adaptation web: Jérémie Favre

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