"Nous devons nous arrêter et négocier un accord pour le retour des otages, même au prix d’un retrait total de Gaza." Ces mots ne viennent pas de n'importe qui. Ce sont ceux d'Ehud Olmert. L'ancien Premier ministre d'Israël, qui a dirigé l'Etat hébreu de janvier 2006 à mars 2009, pèse chaque mot : "Il y a 132 otages, nous ne savons pas combien sont en vie. Nous risquons de perdre beaucoup de vies si le conflit militaire se poursuit." De toute façon, "le Hamas ne disparaîtra pas", poursuit-il.
Dans cet entretien accordée à la chaîne publique de la Suisse italienne RSI, Ehud Olmert appelle à un désengagement total de la bande de Gaza, qualifie d'inutile l'opération en cours à Rafah et dénonce l'isolement international d'Israël en raison de l'absence de stratégie du cabinet de guerre dirigé par Benjamin Netanyahu.
"Hélas, le gouvernement israélien n'a aucune stratégie. Et malheureusement, il n'y a même pas eu de discussion interne sur ce à quoi nous pourrions nous attendre à la fin de la confrontation militaire", déclare-t-il en recevant nos confrères de RSI dans son bureau du centre de Tel-Aviv.
Agé aujourd'hui de 78 ans, Ehud Olmert a mené deux guerres lorsqu'il était à la tête du gouvernement - contre le Hezbollah au Liban en 2006 et contre le Hamas en 2008-2009. Il est poussé à la démission à la suite d'accusations de corruption, pour lesquelles il sera condamné et passera 16 mois en prison. Il entretient une solide amitié avec les Etats-Unis, confirmée par les deux photos géantes avec George W. Bush qui campent derrière son bureau.
Alors que les tensions sont de plus en plus importantes au sein du gouvernement israélien, notamment entre le ministre de la Défense Yoav Gallant et Benjamin Netanyahu, Ehud Olmert se montre très dur envers l'actuel Premier ministre de l'Etat hébreu : "Je pense que l'opération de Rafah est complètement inutile parce qu'elle ne mènera à rien."
Pourquoi le gouvernement Netanyahu ne fait-il pas de la libération des otages une priorité?
Il y a deux options: la première est d'arrêter la guerre et de s'engager à un retrait total de Gaza, de manière vérifiable, afin de persuader le Hamas de rendre les otages. L'autre option est la poursuite de la guerre. Pour Benjamin Netanyahu, l'arrêter maintenant signifierait la fin immédiate de sa majorité au Parlement, composée de ses partenaires messianiques, insensés et imprudents. Et cela serait perçu comme un échec par sa base. À l'heure actuelle, Benjamin Netanyahu ne se bat pas pour les otages, ni pour la sécurité du pays, ni même pour détruire les terroristes. Il se bat uniquement pour sa survie politique personnelle.
Y a-t-il un déclin moral en Israël ou seulement au niveau de ses dirigeants?
C'est une question très difficile, car on peut se demander s'il s'agit seulement des dirigeants... Pourquoi la majorité des Israéliens ne réagissent-ils pas et ne se débarrassent-ils pas d'eux? Tous les sondages de ces derniers mois indiquent qu'entre 70% et 80 % des Israéliens ne font pas confiance au Premier ministre. Une telle méfiance en temps de guerre est la recette d'un désastre. D'un autre côté, dans une société démocratique comme la nôtre, telle qu'elle a été et telle qu'elle restera, la destitution du gouvernement ne peut se faire que par voie parlementaire, ce qui est l'essence même de la démocratie.
Monsieur Olmert, lorsque vous étiez Premier ministre d'Israël, vous avez lancé une guerre contre le Hamas dans la bande de Gaza. Mais cette guerre n'a pas permis d'éliminer le mouvement islamiste ni d'assurer la sécurité des Israéliens. Pourquoi cela fonctionnerait-il aujourd'hui?
En 2008-2009, la guerre a eu impact douloureux et dévastateur sur le Hamas à Gaza, mais j'ai ensuite annoncé une initiative diplomatique avec un cessez-le-feu. J'ai immédiatement impliqué les dirigeants européens qui sont venus ici en Israël pour exprimer leur soutien. Cela s'inscrivait dans une stratégie politique qu'ils pouvaient soutenir. Aujourd'hui, l'absence d'une telle stratégie politique représente l'échec tragique du gouvernement israélien.
Sur le plan international, quelles sont les conséquences sur les relations avec les alliés d'Israël, à commencer par les États-Unis?
Imaginons une "victoire totale" avec la destruction complète du Hamas, en supposant que cela se produise un jour. Bientôt j'espère, mais je n'en suis pas si sûr... Disons-le ainsi: "le Hamas n'existe plus". Et après? Il y a encore des millions de Palestiniens. Quelle sera la stratégie d'Israël? Allons-nous continuer d'occuper la Cisjordanie et la bande de Gaza? Allons-nous faire la police dans la bande de Gaza? Tout cela est ridicule. Cela ne sert pas les intérêts d'Israël ni l'opinion publique de nos meilleurs amis en Europe et aux États-Unis. Ceux-ci ne voient pas les avantages de cette opération militaire. C'est pourquoi je pense que nous payons un prix très élevé du point de vue de l'opinion publique, dans le sens où Israël est perçu comme une force brutale.
Mais croyez-vous vraiment à une "victoire totale" contre le Hamas, comme le prétend Benjamin Netanyahu?
Il n'y a aucune chance d'arriver à une "victoire totale", comme l'a dit le Premier ministre. Nous avons vu ce qui s'est passé: Israël s'est retiré du nord de Gaza et le Hamas est immédiatement réapparu, parce qu'il n'y a pas de stratégie sur ce qu'il faut faire après l'opération militaire. Tout cela provoque une méfiance qui se répand, du président Biden à l'Europe et à tous les autres. Il s'agit là de la principale menace stratégique pour les intérêts nationaux d'Israël. La conclusion inévitable est qu'entre la survie de son gouvernement et celle de l'Etat d'Israël, Netanyahu semble préférer son intérêt politique.
>> Participez à la discussion avec "dialogue", une offre de la SSR:
Propos recueillis par Emiliano Bos
Adaptation en français par Didier Kottelat
Regarder au-delà des frontières linguistiques avec "dialogue"
Cet article est initialement paru en italien sur le site de la chaîne publique de Suisse italienne RSI et a été traduit par la rédaction de "dialogue". Vous pouvez lire l’article original sur RSI.
"Dialogue" est une offre de la SSR qui propose des débats ainsi qu'un échange de contenus afin de créer des ponts entre les personnes de toutes les régions linguistiques et les Suisses de l'étranger.