Ekatarina, violée par des soldats russes et accusée de collaboration, perd sa fille et crie au meurtre
"Faites ce que vous voulez de moi, mais ne touchez pas à ma fille." Ces mots, ceux d'Ekatarina, ont marqué le témoignage qu'a pu recueillir la RTS il y a près de deux ans.
Au printemps 2022, cette mère de famille subit de plein fouet l'occupation russe de Boutcha, petite ville située à 30 kilomètres de Kiev. La jeune femme sera violée par des soldats plusieurs fois par jour durant deux semaines et demie.
Mais après la libération de la ville par les forces ukrainiennes, le calvaire ne s'arrête pas. Ekatarina, trentenaire à l'époque, est accusée avec sa fille de 13 ans par des jeunes du quartier d'avoir "collaboré" avec les troupes russes. Cette mère ukrainienne doit même passer au détecteur de mensonge pour prouver son innocence. Une expérience qu'elle a également relaté lors d'un entretien accordé à la RTS.
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"Ma fille a été tuée"
Au mois de novembre 2023, la RTS apprend que la fille d'Ekaterina est décédée après avoir été percutée par un train. La correspondante en Ukraine se rend alors à nouveau à Boutcha, pour rencontrer cette mère dévastée par le chagrin.
Comment cela a pu arriver? Quelqu'un l'a poussée. Pour moi, c'est un meurtre!
Dans sa petite maison, toujours aussi brinquebalante, Ekatarina ouvre le portail en robe de chambre. "Ma fille a été tuée", dit-elle sans attendre. "Elle a été heurtée par un train qui l'a tuée (...) elle a traversé en passant de l'autre côté des voies ferrées, tout le monde le fait. Comment cela a pu arriver? Quelqu'un l'a poussée. Pour moi, c'est un meurtre", ajoute-t-elle dans Tout un monde.
Pour Ekatarina, les coupables de la mort de sa fille de 15 ans sont tout trouvés. Il s'agit des mêmes voisins qui ont préféré, plutôt que de l'aider, l'accuser d'avoir collaboré. "Je veux qu'on les branche au détecteur de mensonge, comme on l'a fait avec moi à l'époque. Je veux qu'ils soient interrogés", explique-t-elle.
"Ce n'est pas un suicide"
Le rapport de police atteste d'un accident, mais Ekatarina refuse d'y croire. "Ces voyous sont là, ils écrasent, frappent et ils ont tué mon enfant. Et ces policiers, ces flics, ils ont fait passer ça pour un accident!"
La théorie du suicide ne la convainc pas non plus, même si sa fille avait vécu des moments très éprouvants lors de l'occupation russe de Boutcha. "Ils me demandaient de regarder pour que j'apprenne. Une nuit, ils sont venus à huit dans mon lit et m'ont touchée. Finalement, ils sont allés vers ma mère et l'ont violée", avait témoigné cette dernière, alors âgée de 13 ans.
Je lui disais que ce serait comme dans les films, que le temps passerait, que la revanche arriverait
"Ce n'est pas un suicide! Elle ne voulait pas mourir! Je lui disais que ce serait comme dans les films, que le temps passerait, que la revanche arriverait et que les coupables seraient punis", détaille Ekatarina, tout en estimant que sa fille n'a pas bénéficié d'un vrai soutien psychologique. "Ils ont envoyé une femme que ma fille n'aimait pas. Elle lui a demandé de ne pas venir la voir", explique-t-elle.
"Aucune preuve" de meurtre
L'avocate d'Ekatarina est moins catégorique. "Je ne sais pas s'il s'agit d'un suicide. C'est possible, à cause de ce contexte psychologique. Elle était trop jeune pour faire face à tout cela", affirme-t-elle.
"Selon les documents des investigations de la police que j'ai vus, il n'y a aucune preuve qui permettrait d'imaginer un meurtre et, par conséquent, ils ont déduit que c'était un accident (...) mais il me faut plus d'informations pour être sûre de ce que j'avance", ajoute-t-elle.
"Je dois découvrir la vérité"
Le jour de l'enterrement de sa fille, Ekatarina est seule ou presque. Au cimetière, trois personnes sont présentes: la grand-mère, une amie de la famille et un jeune venu creuser la tombe pour y déposer les cendres.
Quelques jours plus tard, la colère d'Ekatarina est toujours présente. "Chez nous, le bureau du procureur n'enquête sur rien. Et ces crimes de guerre, ces crimes sexuels, personne n'en fait rien (...) la police ne fait absolument rien".
Ce n'est pas à moi d'avoir honte. Il le faut. Si tout le monde se tait, tout ce qui s'est passé restera caché
Désemparée, la mère ukrainienne ne perd toutefois pas complètement espoir. Pour elle, un énième combat s'ouvre: obtenir une enquête plus approfondie pour comprendre ce qui est arrivé à sa fille, son seul enfant. "Je dois découvrir la vérité. Je l'obtiendrai", dit-elle.
Questionnée enfin pour savoir si elle ne regrettait pas d'avoir parlé des viols subis, au vu des conséquences sur sa vie et celle de sa fille, Ekatarina réfute catégoriquement. "Ce n'est pas à moi d'avoir honte. Il le faut. Si tout le monde se tait, tout ce qui s'est passé restera caché", conclut-elle.
Reportage radio: Maurine Mercier
Traduction : Oksana Melnyk
Adaptation web: Tristan Hertig