Emmanuel Macron lance les consultations pour sortir de l'impasse et trouver un gouvernement
La trêve olympique étant désormais terminée, Emmanuel Macron a souhaité rencontrer, un à un, les représentants et représentantes des forces parlementaires pour dénouer la crise politique née des élections législatives anticipées en juin dernier, qui ont vu émerger un Parlement fragmenté sans majorité claire.
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La gauche maintient la pression pour Matignon, toujours sans successeur depuis le 16 juillet, quand le Premier ministre Gabriel Attal a présenté sa démission. Le Nouveau Front populaire (NFP) et sa candidate désignée pour le poste, la haute fonctionnaire Lucie Castets, ont ouvert vendredi les consultations convoquées par le chef d'Etat. Celles-ci se poursuivront lundi avec le Rassemblement national (RN) et son allié de droite Eric Ciotti.
La présidence s'est, elle, engagée à nommer la nouvelle figure à la tête du gouvernement à l'issue de ces rencontres.
Pas de délai, mais des contraintes budgétaires
L'enjeu est de taille: trouver un ou une Première ministre capable de rassembler suffisamment de députés pour éviter une motion de censure. Une tâche difficile, la France n'ayant pas l'habitude des coalitions et des alliances interpartis telles qu'on les connaît en Suisse. La France insoumise (LFI) a de son côté déjà menacé Emmanuel Macron de destitution s'il ne nomme pas Lucie Castets, alors que le président est contesté jusque dans son propre camp dans sa décision de convoquer des législatives.
La France n'était pas restée aussi longtemps avec un gouvernement démissionnaire depuis les années 50. Invitée dans l'émission de la RTS Tout un monde, Camille Vigogne Le Coat, grand reporter au magazine d'actualité Le Nouvel Obs, rappelle qu'Emmanuel Macron n'est pas contraint par la Constitution française de nommer un ou une Première ministre dans un délai imparti.
Il y a néanmoins "des contraintes budgétaires qui se posent à lui, car le budget est constitutionnellement débattu et déposé dans la période de rentrée. Plus on attend, plus le Premier ministre nommé n'aura pas de marge de manoeuvre pour agir sur ces questions cruciales".
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"Contradictions" au sein du NFP
Le Nouveau Front populaire a mis du temps à s'accorder sur un nom pour Matignon, mais depuis, "il présente un front relativement uni". "C'est le seul regroupement de formations politiques qui a réussi à désigner un nom et à présenter, du moins sur le papier, une alternative, même s'il est loin d'avoir la majorité", relève Camille Vigogne Le Coat.
Mais la coalition a "de facto fermé toute porte au macronisme, même [aux députés] qui viennent de l'aile gauche", en déclarant dès le début qu'elle appliquerait uniquement son programme, analyse la journaliste. "Cela ferme le jeu, mais aussi la possibilité de faire des alliances. Or, un gouvernement de compromis va devoir être trouvé."
Emmanuel Macron ne sera plus le maître des horloges, tel qu'il a beaucoup aimé se présenter par le passé, et il va nécessairement perdre ce rôle de premier plan
Pour la reporter, "il y a une contradiction intrinsèque" au sein du NFP, y compris dans sa rhétorique. "Les cadres de la France insoumise se disent prêts à chercher des voix ailleurs que chez eux, tout en fermant la porte à toute idée de compromis", note-t-elle.
A l'issue du rendez-vous à l'Elysée avec Emmanuel Macron vendredi, Lucie Castets s'est toutefois dite "prête" à "aller construire [des] coalitions" en vue de former un gouvernement, tout en soulignant que le président a conservé la "tentation" de constituer lui-même sa propre équipe gouvernementale, malgré sa "lucidité" sur le "souhait d'un changement d'orientation politique" exprimé lors des législatives début juillet.
Un changement de ton?
Emmanuel Macron a essayé de gagner du temps pendant l'été et la trêve olympique, convaincu qu'il aura à l'avenir moins d'emprise, car la nouvelle ou le nouveau Premier ministre devra regrouper au-delà de ses rangs, juge Camille Vigogne Le Coat. Le président "ne sera donc plus le maître des horloges, tel qu'il a beaucoup aimé se présenter par le passé, et il va nécessairement, à l'issue de la constitution [du nouveau gouvernement], perdre ce rôle de premier plan".
Jusqu'à jeudi soir, le chef de l'Etat français excluait de nommer Lucie Castets. Le camp présidentiel, la droite et l'extrême-droite menacent par ailleurs d'une motion de censure tout gouvernement comprenant des ministres issus de la gauche radicale.
Vendredi, Emmanuel Macron a "reconnu que l'ensemble des forces" politiques qui ont "participé au front républicain" contre l'extrême-droite aux législatives "étaient parfaitement légitimes à gouverner", a assuré le Parti communiste, en référence aux désistements entre NFP et macronistes au second tour du scrutin qui avaient privé le RN d'une victoire promise.
C'est "un signal favorable" que le président "ait admis qu'il allait falloir changer de cap", a pour sa part estimé la patronne des Ecologistes Marine Tondelier.
Un enjeu de gouvernance
Un imbroglio quant à la nouvelle figure à la tête du gouvernement règne néanmoins toujours dans le pays. Certaines hypothèses avancent la possibilité d'un Premier ministre de centre-gauche anti-LFI qui pourrait diviser la gauche, d'autres celle d'un chef de gouvernement de droite, un scénario soutenu notamment par plusieurs ministres d'Emmanuel Macron.
Cette dernière hypothèse "ne paraît pas forcément logique du point de vue des équilibres politiques dans le nouvel hémicycle, mais nous nous trouvons aujourd'hui dans une telle incertitude que tout est possible", estime Camille Vigogne Le Coat.
Nous sommes très loin d'une simple question de casting, il s'agit d'une question de gouvernance
Au-delà de la personne nommée à Matignon, la question est surtout de savoir si celle-ci arrivera à obtenir la confiance du Parlement pour éviter une motion de censure et quelles réformes elle arrivera à faire passer, relève la journaliste du Nouvel Obs. "C'est en cela que la période est extrêmement incertaine. Nous sommes très loin d'une simple question de casting, il s'agit d'une question de gouvernance."
D'autant plus, ajoute la journaliste, qu'Emmanuel Macron ne peut pas dissoudre le Parlement pendant un an. "Dans ce laps de temps, que va-t-il se passer dans le pays? Se trouvera-t-on dans une situation de blocage et d'incertitude totale ou va-t-on réussir à avancer? Pour cela, il faut un nom, mais il faut surtout une coalition qui permet de faire passer des textes. Et quel que soit le profil [choisi], on a du mal à imaginer aujourd'hui comment" cela peut arriver, alors que "rien n'a changé depuis le 7 juillet", pointe-t-elle.
Interview et sujet radio: Eric Guevara-Frey et Benjamin Luis
Adaptation web: iar avec les agences