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En Albanie, les centres italiens de rétention de migrants n'ont pas l'adhésion du peuple

Le Premier ministre albanais Edi Rama et la Première ministre italienne Giorgia Meloni. [Keystone - EPA/Angelo Carconi]
Les centres italiens de rétention de migrants en Albanie divisent la population locale / Tout un monde / 5 min. / le 11 juillet 2024
L'Italie construit depuis quelques mois des centres de rétention de migrants en Albanie. Giorgia Meloni en a fait un symbole de sa politique contre l'immigration. Mais sur place, une partie de la population n'apprécie pas la collaboration du pouvoir albanais avec l'extrême droite italienne.

Signé en novembre 2023, un accord bilatéral d'une durée de cinq ans prévoit le transfert de l'autre côté de la mer Adriatique de migrants secourus en Méditerranée par les navires italiens, le temps de traiter leurs demandes d'asile, avant un possible renvoi vers leurs pays d'origine.

Exploités par les autorités italiennes elles-mêmes, ces centres de rétention devraient accueillir 36'000 personnes par année. Cette "externalisation de l'asile" dans un pays non-membre de l'Union européenne est une première sur le continent.

"Personne ne nous a demandé notre avis"

Le gouvernement albanais soutient l'accord au nom d'une relation historique particulière avec l'Italie. Le Premier ministre Edi Rama, un néolibéral souvent décrit comme autoritaire, a mis en avant la "dette" de son pays: dans les années 90, l'Italie a accueilli des centaines de milliers d'Albanais fuyant le chaos politique et la misère.

Mais ce discours ne fait pas l'unanimité. Dans le modeste village de Gjadër, au milieu des champs du nord-ouest de l'Albanie, la construction de l'un de ces futurs camps irrite les habitants. "Personne ne nous a demandé notre avis", s'agace l'un d'eux dans l'émission Tout un monde. "L'Etat décide tout seul et se fiche de l'avis du peuple. Mais nous, qu'est-ce qu'on a à gagner avec ces camps? L'Italie a plein de terrains chez elle!"

"Cet accord, ça me fait surtout du mal pour les réfugiés"

À 20km du village, le port de Shëngjin se prépare au transit de ces exilés. Des bâtiments préfabriqués gris protégés par des grilles métalliques ont déjà été installés à côté des chalutiers. Cette cité balnéaire, avec son front de mer bordé de pins maritimes et ses plages de sable, est un centre économique de la région. Les restaurateurs sont largement opposés au projet, mais personne ne critique ouvertement les choix du Premier ministre.

Plusieurs centaines de personnes devraient arriver par bateau dans le port de Shëngjin, qui sera chargé d'enregistrer leurs données personnelles. [AFP - ADNAN BECI]
Plusieurs centaines de personnes doivent arriver par bateau dans le port de Shëngjin, qui sera chargé d'enregistrer leurs données personnelles. [AFP - ADNAN BECI]

"Quand je vois les réfugiés aujourd'hui, ça me rappelle ma vie quand je suis arrivé en Italie en 1993. Des années difficiles: je ne savais pas la langue, je n'avais pas à manger, rien. Des Italiens m'ont aidé", témoigne le gérant d'un hôtel proche du port.

"Cet accord avec l'Italie, ça me fait surtout du mal pour les réfugiés. Mais ça ne va rien changer pour moi ni pour mon business", poursuit cet homme de 63 ans. "Le peuple albanais est le seul qui ne fait pas de divisions religieuses. On n'est pas racistes, on accueille tous les immigrés", ajoute-t-il.

>> Écouter également la chronique de RTSreligion sur les migrants face à la mafia italienne :

L'Italie étend un programme de confiscation des enfants de mafieux à leurs familles. [stock.adobe.com]stock.adobe.com
RTSreligion - Les migrants face à la mafia italienne (4/5): l’action de l’association No Cap / Chronique de RTSreligion / 2 min. / le 11 juillet 2024

Perte de souveraineté de l'Albanie

Pour l'activiste Arlinda Lleshi, ces centres en Albanie ne sont que "pure propagande électorale". "Ce serait évidemment plus facile et bien moins cher pour l'Italie de s'occuper de ces personnes sur son territoire", estime-t-elle.

La jeune femme de 27 ans a notamment organisé des manifestations pour dénoncer la perte de souveraineté de son pays. "Pourquoi devrions-nous accepter que l'Albanie soit toujours un vassal des pays étrangers en faisant le jeu de responsables politiques qui veulent rester au pouvoir?", lance-t-elle. "C'est un accord qui n'a pas de sens et dont nous, les Albanais, n'avons aucun intérêt à tirer!"

Critiques humanitaires

L'Italienne Giorgia Meloni s'est trouvé un allié intéressant en la personne du Premier ministre albanais Edi Rama. [AFP - ADNAN BECI]
L'Italienne Giorgia Meloni s'est trouvé un allié intéressant en la personne du Premier ministre albanais Edi Rama. [AFP - ADNAN BECI]

À la tête du Parti socialiste albanais, Edi Rama est aussi critiqué par la gauche européenne pour son soutien à l'agenda de l'extrême droite italienne. Pour l'opposition, le Premier ministre cherche surtout à faire oublier les accusations de collusion avec le crime organisé qui se multiplient contre son administration et à consolider son pouvoir en donnant des gages à des partenaires étrangers.

Selon de nombreux experts, cette politique de déportation des migrants ne respecte pas le droit international. Mais une quinzaine d'Etats membres de l'UE ont déjà proposé de multiplier ce type d'accord. En Suisse aussi, le Parlement a accepté en juin une motion du PLR qui souhaite qu'un tel "accord de transit" soit conclu avec un pays tiers pour pouvoir y expulser les requérants d'asile érythréens déboutés.

>> Lire sur ce sujet : Le Parlement veut expulser les requérants érythréens déboutés vers un pays tiers

Reportage: Louis Seiller

Texte web: Pierrik Jordan

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