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En Espagne, le gouvernement veut rationaliser les horaires décalés

Le gouvernement espagnol veut rationaliser les horaires décalés. [AFP - Alex Cámara / NurPhoto]
Le gouvernement espagnol veut rationnaliser les horaires décalés / Tout un monde / 6 min. / le 2 avril 2024
Les horaires décalés font débat en Espagne. Le gouvernement souhaite modifier les habitudes du pays. Il a lancé une vaste consultation pour rationaliser le temps de travail et les horaires quotidiens afin de favoriser la santé et la vie privée.

Début mars, la ministre espagnole du Travail et de l'Economie sociale Yolanda Díaz, du mouvement de gauche Sumar, a déclaré qu'il n'était "pas raisonnable que l'Espagne soit un pays où les restaurants sont ouverts à 1 heure du matin".

Ces propos ont immédiatement fait réagir l'opposition. La présidente du gouvernement régional madrilène, membre du Parti populaire (PP), a rétorqué que l'Espagne avait la "meilleure vie nocturne au monde", des rues "pleines de vie" et que cela générait de l'emploi, accusant la gauche de mener une politique puritaine et ennuyeuse.

Des horaires tardifs "valorisés"

Les déclarations de la ministre ont également déplu à des représentants du secteur de la restauration et des bars. Selon Vicente Pizcueta, porte-parole de l'association España de noche regroupant les établissements de loisirs nocturnes dans le pays, si l'Espagne a autant de succès parmi les touristes, "c'est parce que [son] style de vie est quelque chose qu'ils valorisent".

Si on tentait de restreindre ou d'interdire les horaires [tardifs], ce serait une catastrophe en termes d'activité économique

Vicente Pizcueta, porte-parole de l'association España de noche

Grâce à des horaires très étendus, les restaurants des lieux touristiques commencent leur service vers 18 heures pour les vacanciers du nord de l'Europe habitués à manger tôt et restent ouverts tard dans la soirée pour les autres. Le climat joue aussi un rôle important: "L'activité des terrasses est fortement conditionnée par les températures et la météo. La tombée de la nuit est la période de plus grande activité pour nous, car avant, il fait trop chaud", souligne Vicente Pizcueta dans l'émission Tout un monde.

"En Espagne, la vie sociale se déploie dès la fin d'après-midi, à partir de 20 heures ou 21 heures. Les secteurs des loisirs et de l'hôtellerie s'adaptent à ces horaires. Si on tentait unilatéralement de restreindre ou d'interdire les horaires, ce serait une catastrophe en termes d'activité économique", insiste le porte-parole, qui estime que si l'on veut rationaliser le mode de vie espagnol, il faudrait modifier toute la chaîne des horaires au long de la journée et ne pas s'attaquer uniquement à la nuit.

Un enjeu de santé publique

Depuis plusieurs années, le débat refait surface périodiquement en Espagne. Plusieurs idées ont été proposées, notamment celle de raccourcir la pause de la mi-journée entre 14 heures et 16 heures, afin d'éviter que les journées de travail se terminent à 20 heures.

La modification des horaires des journaux télévisés est aussi souvent évoquée. "Ici, le journal de midi commence à 15 heures, à l'heure supposée du repas. Le soir, c'est 21 heures. Les émissions de prime time débutent entre 22h30 et 22h45 et se terminent vers 1 heure ou 2 heures. Cela a une incidence, puisque les gens se couchent tard mais se lèvent comme tout le monde dans le reste de l'Europe, pour aller travailler à 8 heures ou 9 heures du matin. L'Espagne est, avec l'Italie, l'un des pays où l'on dort le moins", affirme Mercedes Hernández, membre de l'association ARHOE qui promeut une rationalisation des horaires espagnols depuis plus de vingt ans.

Ces horaires ont une incidence, puisque les gens se couchent tard mais se lèvent comme tout le monde pour aller travailler à 8h ou 9h du matin

Mercedes Hernández, membre de l'association ARHOE

L'organisation reproche aux gouvernements qui se sont succédé de ne pas avoir pris à bras le corps cet enjeu de santé publique. L'association demande à ce que le fuseau horaire espagnol soit aligné sur celui du Portugal ou de l'Angleterre et que l'Espagne garde l'heure d'hiver toute l'année pour que la nuit tombe plus tôt.

>> Lire à ce sujet : L'Espagne songe à revenir au fuseau horaire de Greenwich

Réformer le droit du travail

Le ministère du Travail a lancé une vaste consultation sur la conciliation entre vie privée et vie professionnelle et sur les horaires de vie espagnols. Celle-ci s'inscrit dans un cadre plus large de réformes liées au droit du travail, qui visent notamment à réduire le temps de travail. Dès cette année, l'Espagne passera progressivement de la semaine de 40 heures - en vigueur depuis les années 1980 - à celle de 38,5 heures, pour arriver idéalement à 32 heures hebdomadaires à l'horizon 2032, le tout sans réduction de salaire. L'opposition de droite se montre très sceptique face à ce projet de la gauche au pouvoir.

"Je crois que c'est le bon moment pour parler temps de travail, car nous sommes dans un gouvernement purement social, où l'importance de la protection des travailleurs est centrale", estime en revanche Maria Luz Vega Ruiz, consultante et coautrice d'un rapport commandé par le gouvernement espagnol pour mieux harmoniser les horaires de travail et de vie dans le pays. Le document propose, entre autres, d'avancer l'heure du prime time à la télévision, de fermer plus tôt les magasins ou encore de retarder l'heure de début de l'école pour améliorer le sommeil des enfants.

Les recommandations concernent également le repos hebdomadaire: "Nous proposons deux jours au lieu d'un jour et demi, comme c'est le cas aujourd'hui. Nous suggérons aussi de réduire les possibilités de couper la journée dans certains secteurs. Nous avons par ailleurs émis des propositions concernant le travail de nuit, qui est très dangereux pour la santé", précise encore cette ancienne employée de l'Organisation internationale du travail (OIT).

Elle ajoute que l'objectif n'est pas d'éliminer le travail de nuit, dont on a besoin. Ce rapport propose de permettre aux personnes de plus de 50 ans de passer en horaire de jour et d'éviter que le travail de nuit soit permanent. Il propose aussi davantage de tournus parmi les employés.

Isabelle Cornaz/iar

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