Dimanche, l'équipe de Mise au Point de la RTS a rencontré des membres de la "Ligue de défense estonienne", un groupe paramilitaire qui s’entraîne dans une forêt aux confins de l’Estonie. L'exercice du jour consiste à tirer à balles réelles sur des cibles cachées dans la forêt. Mais pour eux, l’ennemi a déjà un nom, explique le major Tanel Kapper, commandant de la Ligue sur l’île de Hiiumaa: "C’est la Russie qui a attaqué l’Ukraine, et nous sommes leurs voisins".
Environ 30’000 Estoniens seraient membres de groupes paramilitaires. Avec le déclenchement de la guerre en Ukraine, le nombre de volontaires a grimpé en flèche. "J’ai longtemps hésité à rejoindre la Ligue de défense estonienne, mais l’attaque de la Russie contre l’Ukraine m’a fait comprendre l’urgence de la situation", confie l’un d’eux.
Andres Miller, un employé communal de 53 ans et membre de la Ligue, a connu l’occupation soviétique. Enrôlé de force dans l’armée rouge avant la chute du communisme, il refuse catégoriquement de céder le moindre territoire aux Russes. "Je suis heureux de me battre contre eux. Je préfère me battre en homme libre plutôt que de vivre en esclave. Je crains qu’un jour, la guerre arrive ici. Tant que je peux me battre, je préfère mourir que de voir mes enfants tués", déclare-t-il.
L’industrie de la défense mobilisée
L’Estonie se distingue par son investissement important dans la défense, y consacrant 3,2% de son PIB. En comparaison, la Suisse n’alloue que 0,8% de son PIB.
Dans la périphérie de la capitale Tallinn, les ingénieurs de Milrem Robotics travaillent d’arrache-pied pour développer des drones terrestres destinés à défendre le pays en cas d’invasion.
Leur arme secrète: le THeMIS Cargo. Ce drone terrestre est principalement conçu pour soutenir les troupes au sol en matière de transport. A première vue, il peut sembler inoffensif. Mais il peut aussi être équipé d’armes de guerre et, plus important encore, il est doté d’une intelligence artificielle qui lui permet de combattre de manière autonome.
Plusieurs de ces robots estoniens sont déjà déployés en Ukraine, et la Russie est déterminée à s’en emparer, explique Raul Rikk, directeur stratégique de Milrem Robotics: "Il y a environ un an, la Russie a offert une récompense d’un million d’euros pour la capture de notre robot. Ils voulaient s’approprier notre technologie. Il y a une semaine, nous avons appris que la récompense est passée à deux millions d’euros".
Narva, le talon d’Achille de l’Otan
A la frontière avec la Russie, l’Estonie ainsi que la Lettonie et Lituanie prévoient d’ériger une ligne de fortification ultra-militarisée. Ils ont programmé la construction de 600 bunkers d’ici 2025, pour un investissement de 60 millions d’euros. Ils serviront à faire face, le cas échéant, à une invasion russe.
Le fleuve Narva dessine 75 kilomètres de frontière naturelle avec la Russie. Plusieurs caméras et radars sont dissimulés dans les forêts, le long de ses rives estoniennes. Arles Pertman, garde-frontière, patrouille régulièrement dans cette zone ultrasensible. "Je regarde s’il y a des empreintes dans la neige et aussi les images des caméras. (...) J’ai déjà utilisé mon arme en cas de nécessité pour la sécurité de l’Estonie", témoigne-t-il.
Dans la ville de Narva, Vladimir Poutine bénéficie d’un large soutien: 95% de la population de la ville est russophone. Plusieurs citoyens manifestent leur mécontentement face au déboulonnage d’une statue à la gloire de l’armée rouge. "Tout le monde s’est senti insulté quand ils ont détruit ce monument. Ceux qui ont fait cela sont vraiment des barbares", critique Olga.
Tatiana ajoute: "Nous sommes reconnaissants et fiers, car les Russes nous ont apporté la paix. Le ministre de la Défense dit que nous devons aider l’Ukraine, parce que nous sommes en guerre. Mais elle est là-bas, ce n’est pas notre guerre". Les services de renseignements estoniens surveillent avec attention l’activité dans la région. Certains habitants sont soupçonnés de jouer le rôle de "cinquième colonne" au profit du Kremlin.
La Première ministre estonienne recherchée par la Russie
Le 13 février, la police russe a lancé un avis de recherche à l'encontre de la Première ministre estonienne Kaja Kallas, pour "profanation de la mémoire historique". Selon l'agence de presse étatique russe TASS, les responsables baltes sont accusés d'avoir "détruit des monuments dédiés aux soldats soviétiques". La porte-parole du ministère russe des Affaires étrangères, Maria Zakharova affirme que "ces crimes contre la mémoire des libérateurs du nazisme et du fascisme doivent être poursuivis".
Face à ces accusations, Kaja Kallas réagit dans l’émission de Mise au Point: "Leur but est de me faire peur, mais la meilleure réponse, c’est de ne pas avoir peur, parce que c’est ainsi qu’ils agissent". En réalité, la Première ministre n'a jamais hésité à prendre la parole pour exiger des sanctions rigoureuses contre la Russie. L’Estonie, en tant que l’un des principaux soutiens de Kiev, a toujours été ferme sur cette position.
Sujet TV : Jérôme Galichet/David Nicole
Adaptation web: Miroslav Mares
Narva, l'un des derniers points de passage entre l'Europe et la Russie
A Narva, le "Pont de l’Amitié" représente l’un des derniers points de passage entre l’Europe et la Russie. Suite à la fermeture des frontières finlandaises avec la Russie, de nombreux Russes de l’étranger n’ont d’autre choix que de se rendre ici pour pouvoir rendre visite à leurs proches restés en Russie.
Le pont est étroitement surveillé, étant un point névralgique pour le trafic d’armes et de matériel technologique sensible orchestré par des réseaux prorusses. Depuis le début du mois de février, le passage des véhicules y est interdit, seuls les piétons peuvent encore le franchir.