En Moldavie, courte victoire du oui au référendum sur le principe de l’adhésion à l’UE
Après une longue course en tête du non, le oui l'a finalement emporté avec 50,4% des suffrages, à quelques milliers de voix près, grâce au vote de la diaspora, selon des résultats presque définitifs, permettant qu'une clause soit ajoutée à la Constitution moldave définissant l'adhésion à l'UE comme un objectif.
Ce score serré est loin de marquer un soutien clair à la voie pro-européenne défendue par Maia Sandu durant ses quatre dernières années à la présidence de l'ancienne république soviétique. Les négociations d'adhésion avec l'UE devraient certes suivre leur cours, mais la dirigeante se retrouve fragilisée.
Un résultat serré qui étonne Benjamin Couteau, chercheur à l'Institut Jacques Delors, spécialiste de la politique d’élargissement de l’Union européenne.
"Ce score me surprend et pas que moi. Pour les Européens et pour le gouvernement pro-européen moldave qui misaient beaucoup sur ce scrutin, c'est une déception", explique-t-il lundi au micro de Forum. "Et ce, même si c'est un tour de force compte tenu de l'ingérence russe."
Maia Sandu comptait sur ce succès pour amplifier sa dynamique, poursuit-il. "Elle a eu un très bon score sur le plan personnel à la présidentielle. Mais pour le coup, on est passé très près de la débâcle pour ce référendum. Ce qui entache le second tour, car elle va être face à un pro-russe qui va chercher à coaliser un maximum autour de sa candidature pour l'abattre."
La présidente dénonce des ingérences russes
Maia Sandu a dénoncé des ingérences "sordides" de la part de Moscou et "une attaque sans précédent contre la démocratie". Promettant de "ne pas plier", elle a aussi estimé que le oui a "gagné honnêtement dans un combat injuste".
Le Kremlin a pour sa part exigé des "preuves" concernant ces "graves accusations", tout en dénonçant des "anomalies" dans le comptage des voix du référendum.
Le référendum sur l'adhésion à l'UE et le premier tour de l'élection présidentielle en Moldavie se sont déroulés dans un climat d'"interférence sans précédent" de la part de la Russie, a de son côté estimé la Commission européenne. Son porte-parole a fait état d'un "contexte d'intimidation (...) visant à déstabiliser le processus démocratique dans la république de Moldavie".
La présidente du Parlement européen Roberta Metsola a elle félicité la Moldavie pour son "courage", ajoutant que l'avenir de l'UE et de la Moldavie "s'écriront ensemble".
"La Russie n'a pas réussi" à saper les élections en Moldavie bien qu'elle ait "travaillé avec énergie" en ce sens, a réagi lundi un porte-parole de la Maison Blanche, en appelant toutefois à maintenir la vigilance. "La démocratie est solide en Moldavie, tout comme la volonté du peuple moldave de progresser vers l'intégration européenne", a commenté John Kirby, porte-parole du Conseil de sécurité nationale.
Campagne de désinformation de la Russie?
Pour Benjamin Couteau, il n'y a aucun doute sur le fait que la Russie a tenté d'interférer dans ce scrutin. "Depuis des années, la Russie cherche à maintenir la Moldavie dans son aire d'influence. Dans le même temps, elle a eu des gouvernements particulièrement pro-européens, surtout sous la présidence de Maia Sandu. Mais la Russie essaie de priver la Moldavie de ce chemin à travers des campagnes de désinformation, surtout sur les réseaux sociaux car les médias russes ne peuvent plus émettre en Moldavie."
Sans compter, selon lui, la volonté de la Russie d'acheter directement des votes. "Selon les autorités moldaves, la Russie aurait dépensé 15 millions de dollars pour acheter 130'000 voix, quasiment 10% du corps électoral, ce qui aurait pu faire pencher la balance." En tout, selon le chercheur, la Russie aurait dépensé dans les derniers mois une centaine de millions d'euros pour tenter d'influencer le vote.
S'il est conscient que beaucoup de Moldaves ne veulent pas entendre parler d'Union européenne, Benjamin Couteau précise que ces derniers veulent surtout voir leurs conditions de vie changer. Comme il l'explique dans Forum, la Russie apparaitrait pour eux comme "ce bastion traditionaliste" qui permettrait à la Moldavie de ne pas tomber dans les travers d'un Occident décadent.
"Et la Russie joue aussi sur le mécontentement croissant de la population moldave depuis la guerre en Ukraine. La Moldavie a subi énormément le choc de la crise énergétique et malgré une proactivité du gouvernement moldave actuel, il n'y a pas eu énormément d'amélioration au niveau des conditions de vie de la population."
En tête du premier tour de la présidentielle
Parallèlement, Maia Sandu est arrivée en tête du premier tour de la présidentielle avec 42% des voix contre 26% pour
son principal adversaire, l'ancien procureur général Alexandre Stoianoglo, soutenu par un parti pro-russe, qi'elle affronter lors d'un second tour très disputé le 3 novembre.
Maia Sandu, qui a tourné le dos à Moscou après l'invasion de l'Ukraine voisine et porté à Bruxelles la candidature de son pays, avait convoqué ce référendum pour valider sa stratégie. Mais son pari semble avoir échoué. Ce résultat, sans remettre en cause les négociations avec les Vingt-Sept, "affaiblit en quelque sorte l'image pro-européenne de la population et le 'leadership' de Maia Sandu", commente le politologue français Florent Parmentier, spécialiste de la région.
Première femme à occuper, en 2020, les plus hautes fonctions, cette ex-économiste de la Banque mondiale à la réputation d'incorruptible est devenue en quatre ans une personnalité européenne de premier plan.
Un second tour difficile
Dans un environnement géopolitique compliqué, avec l'Ukraine en guerre et la Géorgie accusée de dérive autoritaire prorusse, la Moldavie donnait à Bruxelles matière à espérer, souligne Florent Parmentier.
Or après ce revers, une victoire de Maia Sandu au second tour est loin d'être assurée. Alexandr Stoianoglo peut compter sur les réserves de voix de nombreux petits candidats "et le piège terrible du 'tous contre Sandu'" risque de se refermer sur elle, selon l'analyste.
Pendant la campagne, cet homme à l'allure sévère a appelé à "restaurer la justice" devant un pouvoir prêt, selon l'opposition, à brimer les droits et a plaidé pour une politique étrangère "équilibrée", de l'UE à la Russie.
jop/miro avec les agences