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En Pologne, la militarisation de la forêt de Bialowieza met en péril le tourisme local

Les tensions frontalières entre la Pologne et la Biélorussie ont des conséquences économiques dans la région de Bialowieza, abritant l’une des dernières forêts primaires d’Europe. [AP Photo/Keystone - Agnieszka Sadowska]
Les conséquences économiques des tensions frontalières entre la Pologne et la Biélorussie / Tout un monde / 4 min. / le 16 août 2024
Depuis trois ans, le président biélorusse Alexandre Loukachenko tente de déstabiliser l'UE en poussant des migrants vers les frontières polonaises. En réaction, Varsovie a récemment instauré une zone militarisée dans la région de Bialowieza, qui vit principalement du tourisme.

Inscrite au patrimoine mondial de l'UNESCO, Bialowieza est l'une des régions d'Europe les plus prisées des amoureux de la nature. Et pour cause: elle abrite l'une des dernières forêts primaires d'Europe. Mais cette année, les vacanciers ne sont plus au rendez-vous.

La bande de territoire militarisée, censée bloquer les migrants venus de Biélorussie, passe en effet en plein coeur de la forêt. Une zone tampon nécessaire et efficace selon les autorités, qui observent une baisse du nombre de tentatives de traversées illégales vers la Pologne. En un mois, elles ont reculé de 70%, explique Katarzyna Zdanowicz, porte-parole des gardes-frontières de la région de Podlachie, vendredi dans l'émission Tout un monde de la RTS.

Des habitants inquiets

"Les patrouilles polonaises reçoivent des jets de pierres, de branches d'arbres, des boules de métal ou de verre, des objets qui peuvent blesser, voire tuer, comme ça a été le cas pour le soldat qui a été poignardé avec un couteau. Ces mesures permettent donc de sécuriser correctement la frontière et de garantir la sécurité, y compris celle des touristes qui viennent en vacances dans notre belle région". 

On s'inquiète surtout pour les habitants de la région qui vivent aux alentours du parc national, dont beaucoup sont des guides touristiques. Ils ont du mal à garder la tête hors de l'eau

Katarzyna Zdanowicz, porte-parole des gardes-frontières de la région de Podlachie

Pourtant, les touristes ne semblent pas avoir interprété le message de la même façon. Dans le parc national de la forêt de Bialowieza, Anna Gierasimiuk observe une baisse du nombre de billets vendus depuis la mise en place de la zone tampon et sa médiatisation. "Le fait qu'on ait moins de touristes est pour nous un problème, ainsi que pour la population locale. On s'inquiète d'abord pour les habitants de la région qui vivent aux alentours du parc national, dont beaucoup sont des guides touristiques. Ils ont du mal à garder la tête hors de l'eau".

La forêt de Bialowieza est la plus ancienne forêt primaire d'Europe. [Keystone - Artur Reszko]
La forêt de Bialowieza est la plus ancienne forêt primaire d'Europe. [Keystone - Artur Reszko]

Le musée attend la fin de l’été pour faire les comptes, mais les allées vides de la réserve de bisons parlent d'elles-mêmes. Même constat au village de Bialowieza. Ce soir-là, Sławomir n'a servi qu’une vingtaine de couverts dans son restaurant, en plein cœur de la haute saison. Il dénonce un emballement médiatique excessif autour de cette zone tampon.

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Deux tiers des clients perdus

"Depuis que cette zone tampon a été annoncée, on a perdu quasiment tous nos touristes. En juillet, j'ai eu le tiers des clients par rapport à l'année dernière à la même période. Nous, on s’efforce d'expliquer aux clients qu'ici on est en sécurité, on met en place des promotions pour les attirer, mais si à côté on reçoit la visite d'un politique qui vient faire une photo près du mur à la frontière ou avec les soldats, ça ne contribue pas au développement du tourisme", se désole le restaurateur au micro de la RTS.

Depuis que cette zone tampon a été annoncée, on a perdu quasiment tous nos touristes

Sławomir, restaurateur polonais

Pourtant, le tracé de la zone militarisée a été étudié pour n'englober aucun village, et de ne pas freiner l'activité touristique. Mais Dorota, qui tient une chambre d’hôtes, a vu la moitié de ses réservations annulées dès son entrée en vigueur début juin. "Je dis à tout le monde que c'est tranquille ici, que c'est très calme, que personne ne tire, et que personne ne tue personne. J'ai réussi à convaincre certains clients de venir quand même, mais d'autres me répètent que les médias ont dit que la région était dangereuse, et qu'il était préférable de rester à distance", témoigne-t-elle.

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Création de bons touristiques

Un message qui compromet la survie de son activité, puisque les charges de la maison, comme l'eau et l'électricité, restent les mêmes, que la maison soit pleine ou non. Marek Czarny gère un hôtel dans le village. Avec ses confrères, il suggère à l'Etat la création de bons touristiques. Une sorte de chèque-vacances valables dans la région et qui seraient distribués aux familles pour sauver la saison touristique.

Ce système permettrait de payer, par exemple, des nuitées à l'hôtel ou chez l'habitant, l'entrée au musée du parc national de Bialowieza, la location de véhicules ou encore les repas au restaurant. "Cela augmenterait l'attrait pour notre zone frontalière et donc le nombre de touristes sur ce territoire qui en a cruellement besoin aujourd'hui. L'Etat a l'obligation de nous aider, car on subit les conséquences de cette situation au nom de la sécurité de toute la Pologne", fustige Marek.

Un projet qui ne pourra cependant pas être voté avant la rentrée parlementaire. Après des étés marqués par le Covid et une menace migratoire grandissante depuis trois ans, les professionnels gardent espoir de revivre un jour une saison normale, pour ne pas mettre la clé sous la porte.

Adrien Sarlat/hkr

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