En renouant le dialogue avec Poutine, Olaf Scholz trahit une position fébrile avant les législatives
D'après les informations communiquées par les deux parties, l'appel entre Moscou et Berlin, qui a duré une heure, a été plutôt crispé et les positions restent en grande partie inchangées.
Le Kremlin indique ainsi qu'Olaf Scholz "a réitéré sa position qui est bien connue et répétée plusieurs fois par jour par tous les hommes politiques européens comme un mantra" tandis que, selon le gouvernement allemand, le chancelier a demandé à la Russie de montrer sa "volonté d'entamer des négociations avec l'Ukraine en vue d’une paix juste et durable".
D'après le quotidien allemand Der Spiegel, citant des sources gouvernementales, le chancelier voulait "confronter" Vladimir Poutine à la réalité de la guerre et au regard critique que portent certains pays sur la Russie.
>> Le suivi de la situation en Ukraine : Kiev doit tout faire pour mettre fin à la guerre en 2025 par la diplomatie, insiste Volodymyr Zelensky
Un appel germano-russe qui fâche Zelensky
Malgré tout, cet échange inédit depuis le début de l'invasion russe en Ukraine a fait bondir le président ukrainien Volodymyr Zelensky. Et pour cause: il intervient dans la foulée de la réélection de Donald Trump à la présidence des Etats-Unis, un futur locataire de la Maison Blanche qui veut pousser l'Europe à "prendre ses responsabilités" pour défendre l'Ukraine.
Mais à l'inverse, cette reprise de contact avec celui qui a été un indésirable absolu en Allemagne pendant plus de deux ans peut être interprété comme un mauvais signe du point de vue ukrainien, alors que Kiev demande plutôt depuis des mois une augmentation de l'aide européenne pour se défendre face à Moscou.
Un chancelier en campagne
Sur le plan intérieur, si Olaf Scholz cherche à s'ériger en "chancelier de la paix", c'est aussi parce que le dirigeant social-démocrate est en campagne électorale en vue des élections législatives agendées fin février. Sa coalition hétéroclite a en effet volé en éclats suite au limogeage du ministre des Finances libéral Christian Lindner, en raison de désaccords devenus insurmontables en matière de politique économique et budgétaire.
>> Lire à ce sujet : L'Allemagne devrait voter le 23 février pour ses élections législatives anticipées
Affaibli et plus impopulaire que jamais, Olaf Scholz espère rebondir lors de ces élections à venir, mais il n'est pas en bonne posture: le SPD n'est que troisième dans les sondages, loin derrière les conservateurs (CDU/CSU) et l'extrême droite (AfD). Mais le chancelier a lancé sa campagne avec détermination en défendant son bilan et le soutien de son pays à l'Ukraine.
La politique étrangère et de défense de l'Allemagne sera au centre de la campagne. Le chancelier de 66 ans a réaffirmé mercredi que Kiev pouvait "compter" sur l'Allemagne et sa "solidarité".
Vives critiques de l'opposition
Mais Olaf Scholz est sous le feu des critiques de l'opposition conservatrice, qui l'a accusé samedi d'avoir contribué à un "succès de propagande" de Moscou par son appel téléphonique au président russe. Vladimir Poutine "prendra le fait que Scholz l'ait appelé plus comme un signe de faiblesse que de force", a déclaré à la radio le porte-parole de la CDU pour la politique étrangère.
Olaf Scholz "voulait surtout faire comprendre, en Allemagne, qu'il est celui qui mise sur les négociations, sur le dialogue", l'a-t-il accusé, estimant que cet effort est vain: Vladimir Poutine ne comprend "que des signaux de force", comme la menace d'augmenter massivement l'aide militaire à l'Ukraine, a-t-il affirmé. Il a enfin reproché au chancelier de n'avoir fait aucune "nouvelle proposition concrète" et de n'avoir pas "fixé de quasi-ultimatum".
"Il est fini, tout le monde le sait maintenant", a de son côté cinglé le journal populaire Bild dans un éditorial.
Le secrétaire général du SPD a quant à lui défendu la démarche du chancelier sortant, affirmant qu'il était "important de faire des progrès diplomatiques".
Pierrik Jordan/boi avec afp
En grande difficulté, les écologistes pourraient se relancer
En difficulté dans les sondages, les Verts allemands tiennent congrès jusqu'à dimanche pour désigner leur chef ou cheffe de file, avec l'espoir de relancer leur parti. Mais les écologistes partent de très bas: ils sont crédités de 11 à 12% d'intentions de vote, loin derrière les conservateurs à plus de 30%, l'AfD (18%) et le SPD (15%), et ont perdu des plumes lors de toutes les échéances électorales cette année.
Trois années de participation à la coalition d'Olaf Scholz ont fait perdre sa cohérence idéologique, et donc sa popularité, au parti et à son dirigeant Robert Habeck. La guerre en Ukraine a fait imploser leurs positions pacifistes, tandis que pour remplacer en urgence le gaz russe, le ministre de l'Economie s'est notamment tourné vers le Qatar. Plus récemment, les Verts ont aussi cautionné un durcissement de la politique migratoire du gouvernement. Tout cela a provoqué une défection des jeunes et une désorientation de leur électorat, tandis que Robert Habeck était dénoncé par la droite comme celui qui n'a pas su gérer la crise économique.
Une "remontada" d'ici au 23 février paraît donc improbable. Mais depuis la chute de la coalition le 6 novembre, les Verts ont bénéficié de quelque 5500 nouvelles adhésions, un record pour un parti qui apparaît aujourd'hui "libéré" du carcan gouvernemental et qui pourrait amorcer un "nouveau départ".
Des négociations qui ont des airs de capitulation en Ukraine
"Les conversations avec le dictateur russe n'apportent aucune valeur ajoutée pour parvenir à une paix juste", a estimé samedi le porte-parole de la diplomatie ukrainienne. Il a appelé à "des actions concrètes et fortes" pour contraindre la Russie à la paix. Un appel qu'il convient d'interpréter comme une injonction à renforcer les défenses ukrainiennes en livrant davantage d'armes.
Car ce qui inquiète particulièrement en Ukraine, c'est que l'Allemagne reprend contact avec la Russie au moment où Kiev est en position de grande faiblesse sur le terrain. L'armée russe gagne du territoire et avance plus que jamais en Ukraine, et l'économie russe en mode "économie de guerre" fonctionne plutôt bien. En l'état, Vladimir Poutine semble n'avoir aucun intérêt à signer un accord de paix. Et l'Otan, de son côté, ne promet pas une adhésion à Kiev.
Ainsi, dans le rapport de forces actuel et sans garanties en termes de sécurité à long terme, le mot "négociations" est compris par bon nombre d'Ukrainiennes et d'Ukrainiens comme une "capitulation".
Et si Volodymyr Zelensky a toujours prôné une solution diplomatique, il entend bien créer les conditions pour négocier une paix juste, qui comprenne une garantie de sécurité qu'attendent désespérément les Ukrainiens.