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"En soi la baisse de la population n’est pas un problème, mais c’est la manière d'y arriver"

Geopolitis
Démographie, l’inévitable déclin ? / Geopolitis / 26 min. / le 2 juin 2024
Baisse de la fécondité dans de nombreux pays, une humanité de plus en plus âgée, une population mondiale qui s’apprêterait à chuter. La transition démographique pose de nombreuses questions économiques ainsi que sociétales et préoccupe de nombreux gouvernements.

La Corée du Sud est confrontée à une chute vertigineuse de sa natalité: selon les chiffres publiés par l’agence publique de statistiques Kostat, le pays a présenté le plus faible taux de fécondité de la planète en 2023, soit 0,72 enfant par femme. Un indice en baisse constante depuis une dizaine d’années alors que le taux de fécondité pour éviter un déclin démographique est de 2,1 en l’absence d’immigration.

Malgré des investissements gouvernementaux de près de 300 milliards de dollars depuis 2006, la tendance n’a pas pu être inversée jusqu’ici. En cause: des pressions sociales et familiales écrasantes mais aussi de l’incertitude professionnelle et financière. De moins en moins de Coréennes choisissent de se marier et d’avoir des enfants.

Ministère coréen de la natalité

Pour le gouvernement, la crise démographique est devenue un thème prioritaire. Le président Yoon Suk-Yeol, qualifiant la situation d’urgence nationale, a annoncé vouloir créer un ministère dédié.

"La préoccupation dépend du rythme", réagit Laura Bernardi, démographe et sociologue à l'Université de Lausanne, dans l’émission Géopolitis. "Si la baisse de la fécondité est rapide et soudaine, entraîne des déséquilibres en termes de proportion des personnes plus âgées et des personnes en âge de travailler, plus jeunes, que ce déséquilibre augmente, l'urgence est là. En soi, la baisse de la population n'est pas un problème, mais la manière dont on y arrive. Et donc les temps qui sont laissés - ou pas - à la société, au fonctionnement économique et social pour s'adapter, sont assez dramatiques parfois. C'est le cas de la Corée du Sud", ajoute-t-elle.

Baisse de fécondité mondiale

Japon, Chine, Taïwan, Corée du Sud… dans de nombreux pays asiatiques, la natalité recule rapidement. Mais le phénomène est mondial: si en 1950 une femme donnait naissance à cinq enfants en moyenne, en 2021 le taux mondial était de 2,3. "On a des situations où la baisse est déjà là depuis des décennies. On a des pays où il y a ce qu'on appelle maintenant le moment de la croissance maximale - parce que même si la fécondité a baissé, c'est très récent et donc la population jeune est encore celle qui est née il y a quelques années en arrière. Et puis il y a des pays où le taux de fécondité reste élevé, mais l’est de moins en moins", précise la démographe.

Selon une récente étude de l’Université de Washington publiée dans The Lancet, d’ici 2100, seuls six pays - les Samoa, la Somalie, les Tonga, le Niger, le Tchad et le Tadjikistan - devraient afficher un taux de fécondité supérieur à 2,1 enfants par femme.  

La fécondité dans le monde en 2100. [RTS - Géopolitis]
La fécondité dans le monde en 2100. [RTS - Géopolitis]

En Italie, le déclin démographique est également une préoccupation majeure. Le pays a l’un des taux de fécondité le plus bas d’Europe : 1,22 enfant par femme selon l’agence italienne Istat contre 1,39 en Suisse et 1,68 France. "Les pays du sud de l'Europe ont effectivement été les premiers à avoir ce qu'on appelle les records de la baisse de fécondité dans les pays occidentaux dans les années 1990. Puis il y a eu une légère reprise avant de retomber maintenant au même niveau, donc en dessous de 1,3 enfant par femme", rappelle Laura Bernardi.

Populations vieillissantes

La population italienne est également de plus en plus âgée: près d’un quart de la population avait plus de 65 ans en 2023. L'espérance de vie, désormais de 83 ans, a progressé de plus de trois ans depuis 2000. Le pays pourrait perdre 20% de sa population d’ici 2070. "On a des taux de chômage des jeunes vraiment très élevés, ce qui entraîne de l'insécurité du point de vue des individus, mais aussi de l'insécurité économique. Cela se reflète dans des choix à long terme, comme celui de fonder une famille", analyse Laura Bernardi.

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Un autre phénomène s’ajoute à cela : l’émigration de jeunes universitaires. "On voit en Italie une donnée intéressante dernièrement, c’est que la population vieillit, mais sa force de travail vieillit même davantage", précise Laura Bernardi. "L’émigration est très importante: on calcule que 10% des personnes avec un degré universitaire sont parties."

L’immigration, une solution ?

Pour Laura Bernardi, encourager la fécondité n’est pas l’unique solution, mais est complémentaire à la migration qui "est aussi une opportunité".

Une Suisse à dix millions d'habitants, ça change quoi pour vous?

Dans ce domaine, "la Suisse est dans une très bonne position, parce qu’elle reste une économie attractive, mais surtout elle a des secteurs qui ont besoin de main d'œuvre qualifiée - l'informatique, la technologie, la santé - et peut compter sur une masse de personnes qui veulent venir. Donc dans ce sens, la politique sélective de la migration en Suisse est assez favorable pour compenser les manques d'enfants autochtones", précise la démographe, avant de souligner qu’en même temps "il faut investir dans la réintégration et la possibilité d'épanouissement de cette population".

Natalie Bougeard/Anne Delaite

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