En Ukraine, l'arrivée de l'aide militaire occidentale commence à rééquilibrer la puissance de feu avec la Russie
"La livraison des armes est plus rapide qu'il y a quelques mois." Dans un entretien publié le 23 juin par le quotidien américain Philadelphia Inquirer, Kyrylo Boudanov, directeur du renseignement militaire ukrainien, le reconnaît: l'aide occidentale, bien que toujours trop lente à ses yeux, est en progression. "Cependant, il reste une question de volume. Les besoins de l'Ukraine sont très élevés", tempère-t-il.
Finalement acceptée au mois d'avril après des mois de blocage au Congrès, l'aide militaire américaine de 61 milliards de dollars arrive peu à peu sur les lignes de front. Annoncée en mars, l'initiative du président tchèque Petr Pavel pour acheter en commun avec 18 pays, dont l'Allemagne, le Royaume-Uni ou encore la France, 800'000 obus d'artillerie à des pays tiers pour les livrer à l'Ukraine prend également forme. Mardi, le Premier ministre tchèque Petr Fiala a annoncé sur le réseau social X que les premières cargaisons avaient été livrées.
Macette Escortet, expert indépendant reconnu sur le conflit ukrainien, va jusqu'à dire sur X que ces deux aides combinées mettent "fin à la crise des munitions" qu'a subie l'Ukraine pendant sept mois. Une crise qui avait démarré au mois de décembre 2023 avec l'arrivée côté russe d'un afflux d'obus en provenance de Corée du Nord.
"Il y avait un manque d'obus criant. Nos munitions étaient rationnées sévèrement. Cela a eu un gros impact sur notre infanterie. Les Russes s'infiltraient de tous les côtés et ça a fait du mal à nos fantassins. Mais maintenant, il n'y a plus cette faim pour les obus et nous pouvons bien travailler", confirme auprès de l'agence de presse Reuters Vasyl, commandant d'une unité d'artillerie ukrainienne dans la région de Donetsk.
Autre signe de changement, le communiqué officiel du Commandant en chef des forces armées ukrainiennes du 18 juin dernier, qui explique que la fenêtre d'opportunités russe se rétrécit à mesure que l'aide occidentale afflue. Et les chances de succès du Kremlin devraient encore diminuer avec l'arrivée prochaine des premiers avions de combats F-16, ajoute Oleksandr Syrsky dans sa déclaration.
Dans sa note du 24 juin, l'Institute for the Study of War (ISW), un centre d'analyses basé aux Etats-Unis, confirme en tous les cas une nette amélioration du rapport de feu d'artillerie entre l'armée ukrainienne et les forces russes. Il serait actuellement de 5 contre 1 en faveur de Moscou alors qu'au plus fort de la crise des munitions, il avait été de 10 contre 1 voire de 14 contre 1 à certains endroits du front.
Une situation encore périlleuse
Si la situation semble donc bel et bien s'améliorer en ce qui concerne les armes et surtout les munitions d'artillerie, l'Ukraine continue à faire face à un cruel manque de main d'oeuvre. De son côté, la Russie chercherait à profiter de son avantage avant que l'ensemble des équipements occidentaux n'arrive en mains ukrainiennes.
"Les troupes russes s'efforcent d'augmenter l'intensité et d'élargir la géographie des hostilités afin de maximiser l'épuisement de nos troupes, de perturber la formation des réserves et d'empêcher la transition vers des actions offensives actives", résume Oleksandr Syrsky.
L'Ukraine est toutefois parvenue au cours des derniers jours à lancer des contre-attaques dans la région de Kharkiv (sud-est). Des images géolocalisées et vérifiées par l'ISW montrent ainsi que l'Ukraine a regagné certaines positions à Voltchansk (nord-est de Kharkiv) et dans la petite localité de Starytsia (nord-est de Kharkiv).
Les forces ukrainiennes ont aussi mis en place d'importants travaux de fortification dans la région de Kharkiv, en établissant de nouvelles lignes de tranchées. Des constructions qui ont aussi lieu dans l'oblast voisin de Soumy, situé un peu plus à l'ouest et où les experts s'attendaient à une nouvelle offensive russe. "Les erreurs qui ont conduit à l'attaque russe de mai (depuis la région frontalière russe de Belgorod, ndlr) sont progressivement réparées", explique sur X Clément Molin, analyste indépendant.
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Plus à l'est, dans les oblasts de Lougansk et de Donetsk, les troupes russes continuent leur lent grignotage. Des attaques se poursuivent le long de la ligne Svatove-Kremina (oblast de Lougansk), une route importante de ravitaillement. Les forces du Kremlin gagnent également du terrain près de la ville de Koupiansk, où 2 km2 ont été conquis.
Plus au sud, à Tchassiv Yar, l'un des derniers bastions de l'oblast de Donetsk, aucun changement n'est signalé pour le moment, mais l'avenir de la ville reste compromis. Questionné pour savoir si l'Ukraine pourrait résister aux forces russes dans cette zone, Kyrylo Boudanov botte en touche: "Je m'abstiendrai de répondre", explique-t-il seulement.
Possédant toujours une puissance de feu supérieure et davantage de soldats, Moscou semble donc toujours avoir la main pour l'instant. Mais l'afflux d'armes et de munitions occidentales change déjà la donne. Le rapport des pertes s'accentue pour le Kremlin. "Pour la Russie, il faut de plus en plus de pertes pour effectuer les mêmes gains", résume Macette Escortet sur X. Une réalité qui pourrait s'accélérer alors que la majorité des équipements occidentaux promis à l'Ukraine ne sont pas encore arrivés sur le front.
Tristan Hertig