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"En voulant sauver la face, l'Iran a mis en danger sa stabilité et son futur économique"

L'invité de La Matinale (vidéo) - Clément Therme, historien et sociologue spécialiste de l’Iran
L'invité de La Matinale (vidéo) - Clément Therme, historien et sociologue spécialiste de l’Iran / La Matinale / 12 min. / aujourd'hui à 07:00
Le tir de missiles sur Israël par l'Iran est extrêmement risqué pour le régime de la République islamique, juge mercredi l'iranologue Clément Therme au micro de la RTS. En mettant en danger la stabilité du pays et la sécurité de sa population, il pourrait voir son autorité se lézarder encore davantage.

En assassinant le 27 septembre dernier à Beyrouth le leader du Hezbollah libanais Hassan Nasrallah, Israël a porté un coup non seulement au groupe islamiste chiite, mais aussi au pouvoir iranien, estime le chargé de cours à l’Université Paul Valéry de Montpellier Clément Therme, invité dans La Matinale.

Hassan Nasrallah avait, au Liban, un mandat de représentation du Guide suprême iranien. "C'était le fleuron de ce que l'Iran appelle l’axe de la résistance. C'est une atteinte au pouvoir personnel du Guide et à sa dimension transnationale. Il fallait laver cet affront", relève le spécialiste de la République islamique.

Le Guide suprême se devait de réagir face au risque de crise de crédibilité envers ses alliés

Clément Therme, chargé de cours à l’Université Paul Valéry de Montpellier et spécialiste de l'Iran

L'Iran avait pourtant montré récemment des signes d'ouverture, notamment économique avec les Etats-Unis. Mais ce positionnement n'a pas suffi et la logique révolutionnaire a finalement primé sur la défense des intérêts économiques du pays. "Le désir d'ouverture économique est une priorité plus lointaine du régime", constate Clément Therme.

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Crédibilité en jeu

Pour lui, si l'Iran est passé à l'action, c'est parce que l'affaiblissement des Gardiens de la révolution à l'extérieur des frontières iraniennes commençait à poser problème vis-à-vis des auxiliaires de l'Iran. "Le Guide suprême se devait de réagir face au risque de crise de crédibilité avec le Hezbollah, les milices chiites en Irak, les rebelles Houtis au Yémen ou le régime syrien", énumère Clément Therme.

La riposte choisie par l'Iran, estime le spécialiste, pourrait toutefois menacer jusqu'à la survie du régime iranien. "Pour l'instant, la République islamique a conduit à la paupérisation de l'Iran", mais la population bénéficiait d'une certaine sécurité. Cette "stabilité autoritaire" était "l'argument principal du régime pour défendre sa pérennité et le statu quo à l'interne", analyse-t-il. "Maintenant, si le régime commence à créer le chaos et à risquer une attaque israélo-américaine sur son territoire, la contestation risque de s'amplifier".

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A plus court terme, à quoi s'expose l'Iran après son tir de missiles? L'Etat hébreu s'apprête-t-il à frapper fort? Pour Clément Therme, il est encore difficile de le dire, mais le risque de déstabilisation régionale est réel, par exemple si les installations énergétiques iraniennes sont frappées, car le pétrole est très important pour la survie du régime iranien.

L’escalade risque de s’étendre en fonction du choix qui sera fait par Israël

Clément Therme

Comme lors de sa réplique d'avril dernier, "Israël cherchera peut-être à frapper des bases militaires. Ou bien directement le leadership iranien, soit ce qu’il a déjà fait contre ses auxiliaires [à Gaza, au Liban et en Syrie, ndlr], liste le chargé de cours à l'Université Paul Valéry de Montpellier, qui résume: "L'escalade risque de s’étendre en fonction du choix qui sera fait par Israël".

Forte réponse israélienne probable

Et la réponse israélienne pourrait bien être violente, car l'Iran a tiré mardi plus de missiles contre Israël qu'en avril dernier, lors de ses représailles contre la frappe israélienne sur son consulat à Damas en Syrie, passant de 120 à environ 200 missiles, et possiblement sans avoir prévenu en amont [lire encadré]. "Cette fois, la frappe iranienne est davantage qu'une frappe symbolique. La réponse israélo-américaine sera probablement plus forte qu'au mois d’avril", prévoit Clément Therme.

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Pour l'iranologue, "en sauvant la face vis-à-vis de ses partenaires, le régime a mis en danger la stabilité et le futur économique" de l’Iran. "C'est une action qui a été prise pour satisfaire les factions les plus conservatrices du régime. Mais il y a un décalage de plus en plus grand entre ceux qui sont à l’intérieur du système, qui voulaient une réponse extrêmement forte, et la majorité de la population, qui veut une normalisation", constate-t-il.

Tout l'enjeu est de manipuler l’opinion publique pour faire croire que la réponse militaire contre Israël est une cause nationale en Iran

Clément Therme

La population paiera les pots cassés

C'est pourtant bien la population iranienne qui risque de subir de plein fouet une éventuelle réponse israélienne massive, alors qu'elle est, selon Clément Therme, "très largement opposée à la guerre, à cette politique régionale qui donne la priorité à la question israélo-palestinienne par rapport aux intérêts économiques du pays". De nombreux Iraniens considèrent ainsi que le conflit israélo-palestinien ne devrait pas être la priorité absolue de leur Etat et qu'il devrait se focaliser sur l'amélioration des conditions économiques de la population, rapporte-t-il.

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Pour la République islamique, conclut Clément Therme, "tout l'enjeu est de manipuler l'opinion publique pour faire croire que la réponse militaire contre Israël est une cause nationale en Iran, alors qu'elle est en réalité une cause révolutionnaire qui n'a une attraction que dans un cercle limité".

Propos recueillis par Pietro Bugnon

Adaptation web: Vincent Cherpillod

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Une frappe annoncée en amont?

Les Américains ont-ils été avertis de cette frappe par l'Iran, ce qui aurait permis à Israël de se préparer et notamment de s'assurer que les missiles seraient abattus par son Dôme de fer? Autrement dit, l'Iran a-t-il choisi de frapper un peu, mais pas trop?

Pour l'heure, la question n'est pas tranchée. Mardi soir peu après les tirs, un haut représentant iranien avait déclaré que la Russie et les Etats-Unis avaient été prévenus de l'opération à venir – une information démentie par Washington. En procédant de la sorte, "l'Iran ne veut pas apparaître comme le fauteur de troubles, le provocateur d'une guerre régionale", note Clément Therme.

"Mais certaines sources disent que l'Iran n'a, cette fois, pas prévenu les Etats-Unis; ce sont ses renseignements qui ont détecté la frappe à l’avance et qui ont prévenu Israël", poursuit le spécialiste. Mercredi matin, l'Iran a du reste changé de version et indiqué officiellement, par la voix de son ministre des Affaires étrangères, qu'aucune coordination n'avait eu lieu.

Nouveau renforcement des sanctions en vue

Outre la réponse militaire, une autre arme de la coalition israélo-américaine pourrait être de renforcer encore les sanctions contre l'Iran, dans l'optique, notamment, de pousser la population à se soulever contre le régime iranien.

"Je ne crois pas que le gouvernement Biden soit dans cette stratégie", estime Clément Therme, qui observe au contraire, récemment, une tendance à l'application plus souple des sanctions, un échange de prisonniers et un dégel des avoirs.

"On pourrait toutefois entrer dans une phase où la mise en œuvre des sanctions déjà existantes sera beaucoup plus stricte, avec une focalisation sur le complexe militaro-industriel de l’Iran, dans lequel le pays a beaucoup investi", pressent-il.

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