Modifié

Entre craintes et soutien, le Hezbollah divise mais gagne en popularité au Liban

Sud Liban: l'autre front de la guerre
Sud Liban: l'autre front de la guerre / Mise au point / 13 min. / le 4 février 2024
Au Liban, on observe avec attention les combats quotidiens à la frontière avec Israël et dans la bande de Gaza. Alors que certains craignent une nouvelle guerre dans le pays, le Hezbollah, allié du Hamas, est de plus en plus populaire au sein de la population.

Au sud du Liban – une région appelée Sud-Liban – le Hamas se bat contre Israël aux côtés du Hezbollah à la frontière des deux pays. Les cortèges funèbres accompagnant les dépouilles des combattants tués sur ce front sont l'occasion pour les groupes armés de galvaniser la population et gagner en soutien.

"Nous n'avons pas peur de la guerre, nous sommes prêts à faire face", glisse Mohamad Hamid au micro de l'émission Mise au Point de la RTS, qui assiste à un cortège se dirigeant vers le cimetière des martyrs, dans les hauteurs de la ville de Saïda. "Si j'ai de la chance, j'irai combattre sans aucune hésitation", renchérit Oudai Ali.

La foule emmène avec elle les futures recrues prêtes à mourir, comme Mohammad, un garçon de 10 ans: "Je suis ici pour rendre hommage à un héros mort en martyr. Je veux me battre parce que mon pays, la Palestine, est occupée et que mourir en martyr est quelque chose de noble qui me mènera au paradis", témoigne-t-il.

Alors que le Liban compte plus de 250'000 réfugiés palestiniens, la guerre menée par Israël dans la bande de Gaza sème la colère, voire le désir de vengeance, dans les camps de réfugiés, où ce sentiment est exacerbé par des décennies d'extrême pauvreté et d'impuissance.

>> Voir le reportage du 19h30 au Liban, où la rancoeur contre Israël grandit parmi les réfugiés palestiniens :

Reportage au Liban, où le désir de vengeance de centaines de milliers de réfugiés palestiniens contre Israël est très fort.
Reportage au Liban, où le désir de vengeance de centaines de milliers de réfugiés palestiniens contre Israël est très fort. / 19h30 / 2 min. / le 27 janvier 2024

Un soutien du Hezbollah aux déplacés

A quelques kilomètres de la frontière libano-israélienne, des villages en ruines ont été vidés de leurs habitants. Derrière ce qu'il reste des murs détruits, les combattants du Hezbollah et l'armée israélienne s'affrontent. Les routes sont désertiques et le bruit incessant des drones est synonyme d'attaque imminente. Des témoins locaux dénoncent notamment l'usage de missiles américains au phosphore blanc par l'Etat hébreu, une arme interdite et dont la présence a alerté les Nations unies.

A quelques pas de la frontière avec Israël, le village chrétien de Rmeish est l'un des seuls de la région encore habité. S'il a jusqu'à présent été épargné par les combats, aujourd'hui les missiles menacent. Pour les habitants, partir ou rester est un vrai dilemme. "C'est injuste. Nous n'avons rien à voir avec ce qui se passe, mais nous ne pouvons absolument rien faire", déplore Rony Choufani. Les populations des villages frontaliers du Sud-Liban se réfugient plus au nord du pays, dans des zones encore épargnées par les combats.

Les habitantes et habitants des villages frontaliers du Sud-Liban se réfugient dans des localités plus au nord du pays pour fuir le nouveau front entre le Hezbollah et Israël. [RTS]
Les habitantes et habitants des villages frontaliers du Sud-Liban se réfugient dans des localités plus au nord du pays pour fuir le nouveau front entre le Hezbollah et Israël. [RTS]

Au-delà de la ligne de front, le Hezbollah est aussi actif auprès des déplacés. La famille de Sawsane Abbas, qui s'est réfugiée à Doueir avec ses parents et ses deux enfants après avoir précipitamment quitté son village à une soixantaine de kilomètres de là en raison des bombardements israéliens, est prise en charge par l'organisation libanaise, faute d'aides de l'Etat ou des ONG. "Lorsque je vois ces combattants du Hezbollah mourir, je ne suis pas triste, je ne ressens que de la fierté. Si ce n'était pas pour leur sacrifice, on ne serait pas là aujourd'hui", confie-t-elle à Mise au Point.

Avec ce soutien financier et matériel, le Hezbollah s'assure de gagner en popularité auprès de la population. "Nous avons actuellement 130 familles à charge. Nous travaillons avec la municipalité, qui nous fournit les données. Le Hezbollah est aussi en train d'aider les familles en leur fournissant des logements", relate Maryam Rammal, responsable humanitaire au sein de l'organisation. "Nous leur fournissons tout genre d'aide: de la nourriture, de l'eau, de quoi se réchauffer, des médicaments, des habits. Nous essayons de leur procurer tout ce dont ils ont besoin."

Une nouvelle guerre jugée peu probable, malgré les velléités

Le Hezbollah – qui signifie "parti de Dieu" – n'est pas uniquement un groupe islamiste armé. C'est aussi un parti politique avec des membres élus au Parlement libanais. L'organisation, qui est principalement soutenue par les musulmans chiites du pays et alliée avec d'autres groupes armés au Yémen, en Syrie ou en Irak, défend la ligne anti-Israël prônée par son chef Hassan Nasrallah.

"La Palestine sera entièrement aux Palestiniens dans le futur et Israël n'existera plus. Si ce n'est pas cette année, ce sera dans les années à venir", assure le cheikh Nabulsi, membre du Hezbollah et responsable du centre culturel Al-Zahra dans la ville de Saïda, interrogé par Mise au Point. "L'Occident va se rendre compte que sa politique colonialiste ne peut pas continuer et qu'il doit arranger la relation avec les peuples arabes et la région. Il n'y a pas de solution de compromis dans ce dossier. Le droit est du côté des Palestiniens et tous ceux qui viennent d'Europe et d'ailleurs en tant que colons en Palestine doivent rentrer chez eux", ajoute-t-il.

Début janvier, après la frappe israélienne qui a tué le numéro deux du Hamas Saleh al-Arouri dans la banlieue de Beyrouth, le géopolitologue et professeur de relations internationales à Sciences Po Paris Frédéric Encel estimait la régionalisation du conflit au Proche-Orient peu probable. "Le Hezbollah maintient une tension extrêmement violente à la frontière avec Israël. Mais on n'a pas affaire à des guerres, comme on les appelle chez les géopolitologues, de haute intensité. Le Hezbollah sait jusqu'où ne pas aller trop loin. Et c'est d'ailleurs également le cas pour les Houthis" du Yémen, avait-il analysé dans l'émission Forum de la RTS. Selon Frédéric Encel, le Hezbollah n'a donc pas intérêt à entrer en guerre contre Israël, qui est aujourd'hui "très dangereux".

>> Revoir l'intervention de Frédéric Encel dans Forum :

Quelle réponse du Hamas à l’élimination de son numéro deux?
Quelle réponse du Hezbollah à l’élimination du numéro deux du Hamas à Beyrouth? / Forum / 3 min. / le 3 janvier 2024

La population libanaise divisée

Situé à 100 kilomètres de la frontière avec Israël, Beyrouth semble actuellement encore loin du conflit. Malgré la crise économique, le quotidien des 2 millions d'habitantes et habitants de la capitale libanaise est plutôt tranquille. La population est pourtant aujourd'hui de plus en plus divisée sur le sujet. D'un côté, la majorité des musulmans, solidaires avec la Palestine, se prépare à une guerre ouverte avec Israël. De l'autre, la communauté chrétienne craint le pire.

Les actions du Hezbollah dans le sud du Liban inquiètent notamment Samy Gmayel, chef du parti chrétien de l'opposition Kataeb. "Nous considérons que la milice du Hezbollah prend la politique en otage. Nous avions déjà un problème avant le 7 octobre, mais là, ce risque a augmenté. C'est un risque de guerre", dénonce-t-il. Le responsable a déjà reçu des menaces de mort de la part de l'organisation. "Nous sommes habitués aux menaces. Nous avons pris le risque de défendre la démocratie et défendre les intérêts des Libanais. Malheureusement, des partis comme le Hezbollah ne croient pas en la diversité et n'acceptent pas les critiques."

Si les affrontements sont loin, le souvenir de la guerre de 2006 avec Israël est, lui, encore bien présent. Le Liban regarde d'un oeil attentif les derniers développements de la guerre dans la bande de Gaza. Une partie de la population craint un embrasement.

Le nouveau front au Sud-Liban "affecte notre économie. Tout le monde a peur de faire un nouveau pas ou de lancer un business", raconte Lubna, une habitante de la capitale. "Le scénario d'une nouvelle guerre ne ressemblera à aucune guerre précédente. Cette fois, ils vont tout raser. Ce ne sera pas juste contre la communauté chiite ou dans le sud du pays qu'il y aura la guerre, mais dans tout le Liban", s'inquiète-t-elle.

Aujourd'hui, le soutien populaire envers le Hamas et le Hezbollah est plus fort que jamais dans le pays. La perspective d'une nouvelle guerre au Liban n'effraie au contraire pas certains. "Nous n'avons pas peur. Tant que les combattants restent victorieux à Gaza, on ne risque rien", affirme Mounir. "Ce qui se passera fait partie du plan de Dieu. Nous soutenons les citoyens de Gaza et tout le peuple palestinien", abonde Mohammed, un autre habitant de Beyrouth.

>> Voir aussi les témoignages recueillis par le 19h30 au Sud-Liban et à Beyrouth sur les tensions à la frontière libano-israélienne :

Au Liban, les tensions avec Israël abîment la résilience de la population
Au Liban, les tensions avec Israël abîment la résilience de la population / 19h30 / 1 min. / le 21 janvier 2024

Reportage TV: Karim Amin, Jon Björgvinsson et Annabelle Durand

Texte web: Isabel Ares

Publié Modifié