Au lendemain de l'élection présidentielle américaine, le Premier ministre britannique Keir Starmer félicite Donald Trump pour sa "victoire électorale historique" et s'empresse de rappeler les liens particuliers qui lient leurs deux pays: "Notre relation avec les Etats-Unis est une relation solide forgée dans des circonstances historiques très difficiles. Elle reste aussi solide aujourd'hui qu'elle l'était à l'époque où elle a été forgée. Et je me réjouis de travailler avec le président élu Trump pour veiller à ce que notre relation reste cette relation spéciale."
Cet enthousiasme sera-t-il pour autant partagé par le nouveau locataire de la Maison Blanche? Du côté britannique, il y a en tout cas "des intérêts fondamentaux en jeu", souligne Etienne Duval, journaliste et ancien correspondant de la RTS au Royaume-Uni, invité dans l'émission Géopolitis. La "relation spéciale" évoquée par Keir Starmer est "une constante depuis très longtemps de la politique étrangère britannique", poursuit-il.
Alliés économiques et militaires
Débouché majeur pour les voitures, les produits pharmaceutiques ou les spiritueux britanniques, les Etats-Unis sont le premier pays de destination des exportations pour le Royaume-Uni. Entre juin 2023 et juin 2024, elles se sont élevées à 235 milliards de dollars. Beaucoup d'entreprises britanniques seraient donc particulièrement concernées par la menace brandie par Donald Trump d'imposer au minimum 10% de taxe pour tout produit importé aux Etats-Unis. Le secteur des spiritueux avait été lourdement affecté lors de son premier mandat. Le président républicain avait imposé des droits de douanes de 25% pour le whisky écossais.
Les négociations pour un accord commercial entre les deux pays sont officiellement lancées dès 2020. Mi-novembre dans un entretien à la BBC, un conseiller de Donald Trump estimait que le Royaume-Uni devait choisir entre les modèles économiques européen et américain. En précisant que le choix de l'Amérique pourrait encourager l'administration Trump à conclure un accord de libre-échange. "Avant même l'élection de Donald Trump, l'actuel ministre des Affaires étrangères David Lamy s'était déjà rendu en compagnie de Keir Starmer aux Etats-Unis. Il avait rencontré Trump à New York avant les élections américaines, avant les élections britanniques, et les contacts se sont noués, qui n'ont pas été mauvais", raconte Etienne Duval.
Sur le front de la coopération sécuritaire et militaire, Américains et Britanniques approfondissent leur relation à l'issue de la Seconde Guerre mondiale. Les deux pays signent en 1946 l'accord UKUSA. Ce pacte de coopération en matière de renseignement, s’étend par la suite à d'autres pays anglophones: le Canada, l’Australie et la Nouvelle-Zélande. En 1949, le Royaume-Uni appuie aux côtés des Etats-Unis la création de l'Otan. Washington et Londres signent encore en 1958 un accord de défense mutuelle qui met en place un niveau inédit de coopération dans l'armement nucléaire. Les deux pays s’engagent côté à côte dans plusieurs conflits, comme en Irak en 2003.
Entre les Etats-Unis et l'Europe
"Il ne faut pas oublier non plus que l'Union européenne est le premier partenaire commercial du Royaume-Uni", souligne Etienne Duval. "C'est un choix fondamental pour le Royaume-Uni, qui doit trouver sa place. Qui doit à la fois se distinguer de l'Europe grâce à cette relation spéciale avec les Etats-Unis, mais aussi qui a des intérêts fondamentaux en Europe, que ce soit du point de vue du commerce ou de la défense des deux côtés de l'Atlantique."
A peine nommé, le Premier ministre britannique Keir Starmer a promis "un renouveau national". L'économie britannique qui subit encore les effets de la pandémie de Covid-19, a dû faire face aux conséquences de la sortie de l'Union européenne en 2020. "Les économistes estiment que le Brexit a coûté entre 4 et 5% du PIB à la Grande-Bretagne", relève le journaliste.
Le gouvernement travailliste s'est engagé à relancer ses relations avec les Européens. Depuis la sortie de l'Union, des négociations sont menées pour définir les contours de nouvelles coopérations. Avec l'Allemagne, un accord de défense vient d'être signé, qui prévoit le renforcement de leur collaboration sécuritaire dans un contexte de tensions accrues vis-à-vis de la Russie. "Imaginez le symbole! Des avions de la Luftwaffe dans une base écossaise", lance Etienne Duval. "Il s'agit de lutte anti-sous-marine en mer du Nord. C'est symbolique, mais cela montre une volonté de Londres de développer des relations militaires."
Le Royaume-Uni est face à un choix selon lui: être "une force d'appoint pour les Etats-Unis" ou "jouer un rôle majeur de grand partenaire européen". Pour autant, il estime que la réintégration du pays au sein de l'Union européenne est inenvisageable politiquement. Il évoque un rapport "paradoxal" face à l'Europe, en citant un récent sondage qui montre qu'une majorité des Britanniques seraient en faveur d'un retour au sein de l'Union européenne. "Par contre, il n'en est pas question politiquement. Keir Starmer, lui-même, n'envisage pas une seconde de rouvrir les négociations avec l'UE. Au contraire, il a des lignes rouges, où il n'est pas question pour la Grande-Bretagne, même sous les travaillistes, ni de rejoindre le marché unique, ni l'union douanière, ni de revenir à la libre-circulation des personnes", assure-t-il.
Mélanie Ohayon, Elsa Anghinolfi