Le modèle économique de la Corée du Nord reposait jusqu'en 2017 sur les exportations de charbon, de fer, de textiles et de fruits de mer. Depuis la mise en place de nouvelles sanctions internationales, le pays a dû se réinventer et mise aujourd'hui sur les perruques et faux-cils.
En début d'année 2024, ces marchandises représentaient près de 60% des exportations vers la Chine. Selon les données de l'administration générale des douanes chinoises, la valeur de ces échanges a été multipliée par cinquante en deux ans.
Depuis 2022, la Corée du Nord a aussi exporté des perruques et faux-cils vers la Pologne, l’Afrique du Sud et Trinité-et-Tobago. Rien, en revanche, vers le reste du monde.
Des perruques nord-coréennes en Suisse
Certaines entreprises chinoises sous-traitent toutefois la production de perruques et de faux-cils en Corée du Nord. Ces marchandises peuvent ainsi être vendues sous l'étiquette "Made in China" sans l'être réellement.
Il y a clairement un risque que ces produits aient été confectionnés par du travail forcé
Contacté, l'Office fédéral des douanes n'exclut pas la présence de perruques fabriquées en Corée du Nord en Suisse. Il indique ne pas être tenu de vérifier l'origine réelle de ces marchandises, car elles échappent aux sanctions internationales.
Amnesty International inquiète
Cette situation inquiète Danièle Gosteli Hauser, responsable Economie et Droits humains chez Amnesty International: "Il y a clairement un risque que ces produits aient été confectionnés par du travail forcé. Je pense que ça doit alerter les importateurs et importatrices."
Elle poursuit: "En Corée du Nord, on a répertorié des arrestations, des détentions arbitraires, la répression violente de la dissidence, des conditions de détention inhumaines, des actes de torture, l’existence de camps de prisonniers et de prisonnières politiques. En 2022, on estimait que 120'000 personnes étaient détenues et soumises à des travaux forcés ou à d'autres mauvais traitements."
25 kilos de maïs contre 25 centimètres de cheveux
Les perruques peuvent être en matière synthétique ou en cheveux naturels. Selon le journal singapourien The Straits Times, certains citoyens nord-coréens vendent leurs cheveux. Les entreprises nord-coréennes du secteur promettent 20 à 25 kilos de maïs contre une mèche de 25 centimètres.
Dans ses pages, le Livre Blanc évoque aussi ce marché. Publié chaque année par la Corée du Sud, ce document fait le point sur la situation des droits humains dans le nord de la péninsule. Dans son édition 2022, il mentionne de "nombreux étudiants qui arrondissent leurs fins de mois grâce à ce travail" et la présence d'une unité dédiée à la production de perruques et faux-cils dans le centre de détention pour femmes de Kyohwaso.
En 2017, le journal en ligne basé à Séoul Daily NK décrivait également la présence d’enfants d’à peine neuf ans dans ces usines de fabrication.
Face à cette situation, Danièle Gosteli Hauser encourage les consommateurs et consommatrices qui en auraient la possibilité à questionner les entreprises sur leur chaîne de production.
Mathilde Salamin
Des cheveux de paysannes françaises
Le port de la perruque se généralise dès le XVIIIe siècle en Europe. A cette époque, le roi Louis XIV souhaite dissimuler sa calvitie naissante. La perruque devient alors un signe de haute distinction.
Selon l'ethnologue Christian Bromberger, auteur de l'ouvrage "Trichologiques: Une anthropologie des cheveux et des poils", ce business concernait particulièrement les femmes précaires: "Les pauvres paysannes de Bretagne et d’Alsace vendaient leurs cheveux. Les nobles et bourgeois de Paris avaient un véritable attrait pour les perruques en cheveux naturels."
Au fil des siècles, ce marché s'est mondialisé et les transports se sont modernisés. Aujourd'hui, en Europe, les cheveux utilisés proviennent majoritairement d'Inde et d'Asie. Mais la chevelure reste encore un indicateur social puissant, estime Christian Bromberger.