La chaîne TRT a annoncé la mort de l'intellectuel musulman, citant les comptes X et le site internet de son mouvement, qui est interdit en Turquie. Il est décédé "à l'hôpital où il avait été emmené".
"Notre professeur a marché jusqu'à l'horizon de son âme à 21h20 le soir du 20 octobre 2024, à l'hôpital où il était soigné depuis un moment", annonce le compte X du média. "Les médecins feront une déclaration sur le processus hospitalier dans les prochaines heures."
Fethullah Gülen était installé en Pennsylvanie, aux Etats-Unis, depuis 1999. Il n'apparaissait que très rarement en public.
D'allié à ennemi juré d'Erdogan
La Turquie l'avait déchu de sa nationalité turque en 2017. En exil, il échappait depuis près de quinze ans aux griffes du président Recep Tayyip Erdogan, autrefois son allié mais qui l'accusait désormais de "terrorisme" (lire encadré).
Après la tentative de "coup d'Etat" du 15 juillet 2016, le président turc a fait procéder à des centaines d'arrestations dans des purges sans précédent. Plus de 125'000 personnes ont été limogées d'institutions publiques, dont quelque 24'000 soldats et des milliers de magistrats. Des établissements d'enseignement privé, des médias et des maisons d'édition ont aussi été fermés. En parallèle, les services secrets turcs ont mené plusieurs opérations dans des pays d'Asie centrale, d'Afrique et des Balkans pour ramener de force des partisans gülenistes présumés.
L'ancien imam affirmait que son mouvement Hizmet ("Service", en turc), aussi puissant qu'opaque car présent sur tous les continents via, notamment, un tentaculaire réseau d'écoles privées, n'était qu'un simple réseau d'organisations caritatives et d'entreprises.
"Goût du secret et de l'influence"
Fethullah Gülen est passé "d'imam quelconque dans les années 1970" à "dirigeant spirituel d'une vaste communauté qui rassemble des millions de sympathisants (...), présente dans tous les secteurs de l'économie, dans l'éducation, au sein des médias, mais aussi dans divers secteurs de l'administration", relève Bayram Balci, chercheur au Ceri-Sciences Po à Paris, dans une étude parue en 2021.
"Possédant le goût du secret et de l'influence, voire de la manipulation et de l'intimidation (...), le mouvement de Fethullah Gülen présente de fortes similitudes avec diverses congrégations catholiques comme les Jésuites, Opus Dei ou autres, dont il s'est visiblement inspiré", souligne-t-il.
L'intellectuel turc préconisait une version de l'islam teintée de nationalisme et revisitée par la modernité. Il a notamment exprimé sa croyance en la science, le dialogue interconfessionnel et la démocratie. Il a dialogué avec différents représentants religieux, dont le pape Jean-Paul II. Il était aussi tenant d'une théologie en faveur des entreprises, de l'économie de marché et des politiques économiques néolibérales.
jop avec agences
Gülen et Erdogan, deux islamistes en rupture après un scandale de corruption
Fethullah Gülen et Recep Tayyip Erdogan, tous deux partisans de courants politiques islamistes, furent longtemps alliés: le chef de l'Etat turc a même profité du réseau Gülen, dans les années 2000, pour asseoir son pouvoir face à l'establishment kémaliste, défenseur d'une Turquie laïque.
Mais l'entente cordiale entre les deux hommes, fragilisée à partir de 2010, vole en éclats lorsqu'un scandale de corruption, mis à jour par des magistrats acquis à la nébuleuse güleniste, éclabousse fin 2013 le cercle des intimes d'Erdogan. Fethullah Gülen devient l'ennemi public numéro un.
Recep Tayyip Erdogan accuse alors l'ancien imam d'avoir mis en place un "Etat parallèle" destiné à le renverser. La haine du dirigeant sera décuplée après le putsch manqué de juillet 2016, ourdi selon lui par son ancien allié, et une véritable traque aux gülenistes est alors lancée.