Malgré la guerre en Ukraine et les sanctions imposées à la Russie, l'Europe continue d'importer du gaz russe. Les quantités ont toutefois "drastiquement baissé" depuis 2022, rappelle Céline Bayou, chargée de cours et chercheuse au Centre de recherche Europe-Eurasie (CREE) de l’INALCO, à Paris, dans l'émission Tout un monde.
"En 2021, la part du gaz russe dans les importations de l'UE était d'un peu plus de 40%. Aujourd'hui, elle est passée aux alentours de 18%, ce qui est quand même un sacré effort fait ici par l'UE", explique-t-elle.
Il ne faut pas s'attendre à ce qu'il y ait moins de gaz côté européen. En revanche, il sera vraisemblablement plus cher que le gaz russe
L'Europe n'a en revanche pas réussi à éviter complètement ces importations, bien que la Commission européenne ait prévu de se séparer totalement du gaz russe d'ici à 2027. "C'est un processus qui est en cours", précise Céline Bayou.
Pas de chute d'approvisionnement
Actuellement, la Russie envoie son gaz vers l'Europe par deux routes, depuis le sabotage de Nord Stream en septembre 2022 en mer Baltique. La première est le gazoduc TurkStream et son prolongement, Balkan Stream, sous la mer Noire, vers la Bulgarie, la Serbie et la Hongrie.
Le second itinéraire traverse l'Ukraine en vertu d'un contrat établi en 2019 pour cinq ans entre les compagnies ukrainiennes Naftogaz et GTSOU, et le géant russe Gazprom. C'est celui-ci qui doit être coupé au 1er janvier 2025. Le volume passant par cette route s'élevait à 14,65 milliards de m3 en 2023, soit un peu moins de la moitié des exportations totales de gaz russe vers l'Europe, selon des chiffres officiels.
Malgré tout, Céline Bayou ne craint pas une chute de l'approvisionnement en gaz pour l'Europe, notamment en raison de la forte augmentation des importations européennes de gaz naturel liquéfié (GNL).
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"Les différents gazoducs reliant la Russie et l'Europe sont de moins en moins en fonction, mais on continue quand même à importer du gaz sous d'autres formes, et notamment le fameux GNL", dit-elle. Il s'agit de gaz transformé sous forme liquide. Il peut donc être transporté par voie maritime et plus par gazoduc, et il est ensuite regazéifié.
Impact sur les prix
Par ailleurs, le volume de gaz passant par le gazoduc reliant la Russie à l'Ukraine a déjà été fortement réduit. "Cette année normalement, 40 milliards de m3 auraient dû passer par ce gazoduc et il n'en est passé que 15", explique Céline Bayou. "Mais l'Ukraine a trouvé quand même d'autres solutions."
Pour les Européens, ce sera un gaz qui sera compliqué à remplacer
Les Etats-Unis ont notamment envoyé à Kiev un premier chargement de GNL "qui doit transiter par l'Ukraine pour approvisionner un peu plus à l'ouest", poursuit la chercheuse. "Et il y en aura d'autres, donc il ne faut pas s'attendre à ce qu'il y ait moins de gaz côté européen", assure-t-elle. "En revanche, ce gaz sera vraisemblablement plus cher que le gaz russe."
Cet avis est partagé par Thierry Bros, professeur à SciencesPo et expert énergie et climat. Il estime que le gaz transitant en Ukraine sera "compliqué à remplacer" pour les Européens, car il représente 5% des importations totales de gaz de l'Union européenne.
"Le prix est fixé par la molécule marginale, donc si nous n'avons plus de gaz russe et que nous devons aller chercher de nouvelles molécules, le prix en Europe va malheureusement augmenter", indique-t-il dans La Matinale de la RTS.
Dépendance au gaz russe
L'impact devrait toutefois être limité pour une grande partie des consommateurs européens, relativise Céline Bayou. "En réalité, cette augmentation a déjà eu lieu en 2022, quand il y a eu un retournement drastique", déclare-t-elle. "Là, je ne suis pas sûre que cela va changer considérablement la donne sur les tarifs au niveau européen."
Certains pays seront cependant plus touchés que d'autres en raison de leur dépendance au gaz russe. Les Etats situés à l'est du continent restent en effet très dépendants, pour des raisons d'enclavement géographique, ou politiques dans le cas de la Hongrie et de la Slovaquie, soucieuses de maintenir des liens de proximité avec le Kremlin.
Le Premier ministre slovaque Robert Fico souhaiterait en effet que l'Ukraine et la Russie maintiennent leur contrat sur le transit de gaz vers l'Europe. Pour le président ukrainien Volodymyr Zelensky, cette position suggère que Robert Fico "veut aider Poutine à gagner de l'argent pour financer la guerre".
Ne pas financer l'effort de guerre
L'objectif de cette interdiction de transit était en effet de priver la Russie de ressources pour financer son effort de guerre. Reste à voir l'impact réel qu'aura cette décision sur les caisses de l'Etat russe. "La question, c'est: qu'est-ce qui va suivre? Est-ce que l'UE va continuer sur cette logique-là? Est-ce qu'en 2027, véritablement, on n'achètera plus du tout de gaz russe?", s'interroge Céline Bayou.
L'Ukraine pourrait par ailleurs encore revenir sur sa décision, estime Thierry Bros. "On ne sait toujours pas si le contrat ne pourrait pas être reconduit d'une façon différente, puisque certains Européens, le Premier ministre Fico par exemple, seraient favorables à une poursuite du transit en Ukraine", affirme-t-il.
"Donc on peut imaginer que derrière des portes bien fermées, il y ait des négociations musclées entre les différents acteurs, puisque tout le monde n'a pas forcément la même vision sur le devenir de ce contrat", ajoute-t-il.
Propos recueillis par Eric Guevara-Frey
Adaptation web: Emilie Délétroz avec agences