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Fleuron de l'establishment britannique, les écoles privées ne font plus rêver

Classe école privée. [Depositphotos - monkeybusiness]
Ecoles privées chères et de qualité discutable: des parents britanniques se tournent vers le public / Tout un monde / 7 min. / le 17 mai 2024
Au Royaume-Uni, les écoles privées ne font plus autant rêver. Leur coût toujours plus élevé refroidit nombre de parents, qui reviennent vers le public. Ce phénomène pourrait prendre de l’ampleur si les travaillistes arrivent au pouvoir cette année, car ils entendent mettre fin à l'exonération de TVA dont bénéficient leurs frais de scolarité.

Dans le cadre d'une réflexion plus large sur l’égalité des chances à l’école, les travaillistes britanniques veulent réduire le fossé entre écoles publiques, qui manquent cruellement de ressources, et établissements privés.

L'idée est d’imposer la TVA – 20% au Royaume-Uni Y– sur les frais de scolarité des écoles privées, qui actuellement y échappent. Grâce à cet impôt, ils estiment pouvoir récolter l'équivalent de 1,8 milliard de francs par année, argent qui serait reversé dans le budget des écoles publiques.

Selon les sondages, cette mesure fait mouche auprès de la population. "On voit que les gens perçoivent comme injuste le fait que les personnes très aisées puissent s’offrir une éducation privilégiée. Cela fait partie du débat plus général sur la méritocratie et la mobilité sociale… ou plutôt l’absence de mobilité sociale", a réagi dans Tout un monde le professeur à l'University College London (UCL) Francis Green, auteur d'un livre sur les écoles privées.

Equipements de luxe

Un peu moins de 7% des jeunes britanniques sont scolarisés dans le privé, un chiffre qui n’a pas bougé depuis très longtemps. Le secteur n'étant pas subventionné, les écoles privées d'outre-Manche sont parmi les plus chères au monde et le contraste avec les établissements publics est très grand.

Rugby School, fondée en 1567, qui a donné son nom au sport au ballon ovale. [CC BY-SA 4.0 - G-13114]
Les terrains de Rugby School, fondée en 1567, qui a donné son nom au sport au ballon ovale. [CC BY-SA 4.0 - G-13114]

Journaliste, autrice et mère de trois enfants, Fiona Watkins en sait quelque chose. Elle a retiré il y a quelques mois ses deux garçons du privé pour les mettre dans une école publique.

"L'école qu'ils ont quittée avait des installations phénoménales, presque absurdes. Est-ce vraiment nécessaire, pour un garçon de 7-8 ans, de jouer au hockey sur un terrain en gazon synthétique? Ou d'avoir un équipement de rugby qui ne détonnerait pas dans une équipe de première ligue? Et tous les pianos étaient des Steinways… Il y a une disparité immense entre les écoles privées et publiques", dénonce-t-elle.

De nombreuses écoles n’auront d’autre choix que de faire passer la note aux parents"

Julie Robinson, porte-parole de l'Independent School Council

Toutes les écoles privées ne boxent cependant pas dans la même catégorie. Selon l'Independent School Council, le lobby du secteur, un grand nombre des 3000 écoles privées du pays fonctionnent avec très peu de marge financière et ce sont surtout celles-ci qui vont être impactées par l'imposition de la TVA.

"De nombreuses petites écoles, les écoles religieuses notamment, ou celles qui répondent à des besoins éducatifs particuliers, ont déjà beaucoup de mal à gérer leur budget en raison de la crise du coût de la vie. Il n’est pas réaliste de penser qu’elles pourront absorber les 20% de TVA . Elles n’auront d’autre choix que de faire passer la note aux parents", s'inquiète la porte-parole de l'Independent School Council Julie Robinson. "Des dizaines de milliers d’enfants risquent de passer dans le public. Pour ces écoles privées, c’est une réelle menace", pointe-t-elle.

Coûts en hausse, qualité en berne

Pour Fiona Watkins, qui a expliqué dans un article du magazine Spectator son choix de retirer ses garçons du privé, la désertion a déjà commencé. "Chaque semaine, j’apprends que des gens retirent leurs enfants du privé. Je n’ai jamais écrit d'article qui ait provoqué autant de réponses… Les gens m’expliquent que l’éducation privée, qui était ancrée dans leur tradition familiale, n’est juste plus viable. Et j’ai aussi beaucoup d’amis qui hésitent", confie-t-elle.

Lorsque nous avons mis nos enfants dans une école privée, je me suis dit: 'je n’ai plus besoin de me soucier de leur éducation, il n'y aura pas de lacunes'. Ça n'a pas été n’était pas le cas...

Fiona Watkins,  Journaliste, autrice et mère de 3 enfants

Si le coût est la principale cause des départs, la qualité de l’enseignement peut aussi jouer un rôle. "Lorsque nous avons mis nos enfants dans une école privée, je me suis dit: 'je n’ai plus besoin de me soucier de leur éducation, il n'y aura pas de lacunes'. Ça n'a pas été n’était pas le cas… Certaines notions de base étaient absentes", raconte Fiona Watkins, qui détaille: "Mes fils de 8 et 10 ans utilisaient les majuscules de façon assez aléatoire. Mon fils cadet n’était pas capable de lire l’heure sur une montre à aiguilles. C’est corrigé maintenant, mais quand vous payez 24'000 francs l’année, vous vous attendez à ce que ce soit enseigné."

>> Lire aussi: : A Genève, des universités privées proposent des formations onéreuses non reconnues par les autorités académiques suisses

Si les écoles privées n’ont plus tout à fait la même aura, c’est aussi parce que les standards académiques dans le secteur public se sont améliorés. Autre facteur, les universités de renom font maintenant des efforts pour encourager la mixité sociale, si bien que les écoles privées ne peuvent plus forcément garantir une passerelle directe vers ces établissements [lire encadré]. La part des admis à Oxford et à Cambridge venant du privé a par exemple chuté ces dernières années, même si la proportion reste élevée.

Le déclin, vraiment?

Si les écoles privées sont sous pression, il est toutefois exagéré de parler de déclin, estime Francis Green. "ll y a tout le temps des écoles qui ouvrent ou qui ferment... La seule chose qui pourrait vraiment menacer l’existence des écoles privées est un revirement de la tendance économique. Elle met de plus en plus d’argent dans les mains d’une élite relativement petite et il n'y a qu'elle qui peut se permettre des frais de scolarité très élevés", constate-t-il. Son pronostic: il y aura toujours environ 6,5% de jeunes scolarisés dans le privé ces prochaines années.

>> Lire aussi : Ecole publique ou privée, le débat qui divise la France

Les écoles privées deviendront-elles encore plus exclusives en raison d'un exode massif des classes moyennes-supérieures vers le public? Les avis divergent beaucoup sur la question. Certains estiment que l’impact de cette mesure a été délibérément exagéré par le lobby des établissements privés pour maintenir ses avantages fiscaux, tandis que d’autres craignent que l'école publique ne croule sous les nouvelles demandes.

>> Ecouter aussi le grand débat de l'émission Forum sur la promotion ou non des écoles privées :

Certains parents fortunés placent leurs enfants dans des écoles privées à cause du "manque d'écoute" de l'instruction publique concernant les besoins spéciaux. [Keystone - Ennio Leanza]Keystone - Ennio Leanza
Grand débat - Faut-il faciliter l’accès aux écoles privées? / Forum / 16 min. / le 13 mai 2024

Sujet radio: Catherine Ilic

Adaptation web: Vincent Cherpillod

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Des écoles qui forment les élites britanniques

C'est dans le cadre très privilégié des grandes écoles privées que se préparent les élites britanniques de demain. Une étude datant de 2019 a en effet montré que 40% des postes les plus en vues étaient occupés par d’anciens élèves d’écoles privées.

Ce ratio est encore plus impressionnant pour les écoles privées très renommées: Eton, l’école par excellence de l’élite anglaise et son année scolaire à 60'000 francs, envoie ainsi un tiers de ses élèves dans les universités d'Oxford ou Cambridge. Elle peut se vanter d’avoir formé pas moins de vingt Premiers ministres.

Ce sont avant tout les ultra-privilégiés, à l'instar de la famille royale, qui fréquentent ces établissements. On y trouve de plus en plus de familles très riches venant de l'étranger, mais aussi des élèves provenant de la classe moyenne supérieure. Près d'un tiers de l'effectif est aussi au bénéfice de bourses et vient de milieux plus modestes.

L'Eton College, près de Londres. [CC BY-SA 4.0 - Evka W]
L'Eton College, près de Londres. [CC BY-SA 4.0 - Evka W]