Les sites historiques détruits à Gaza "font partie de la richesse et du patrimoine de la société d'aujourd'hui"

Les invitées de La Matinale (vidéo) - Malika Rahal et Marion Macé font l’inventaire du patrimoine bombardé à Gaza
Les invitées de La Matinale (vidéo) - Malika Rahal et Marion Macé font l’inventaire du patrimoine bombardé à Gaza / L'invité-e de La Matinale (en vidéo) / 16 min. / le 30 décembre 2024
Historiens, politistes, archéologues, géographes ou encore sociologues se sont réunis afin de recenser l’ensemble du patrimoine de Gaza. Ce projet, intitulé "Gaza, inventaire d’un patrimoine bombardé", représente un travail énorme, mais essentiel pour ne pas oublier.

Depuis octobre 2023, la bande de Gaza est soumise à des bombardements quotidiens "qui ciblent bien sûr la population, mais visent aussi les sites historiques de la riche histoire de ce tout petit territoire", indique dans la Matinale l'historienne Malika Rahal, l'une des membres du projet. L'état du patrimoine est donc "forcément extrêmement dégradé".

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Obtenir les données nécessaires à cet inventaire peut par ailleurs s'avérer difficile. Les membres de l'initiative n'ont pas accès aux sites concernés. Ils sont toutefois en contact avec des spécialistes qui se trouvent sur place à Gaza. Le projet se base également sur des images trouvées sur internet, dans la presse, ainsi que dans des livres et des archives.

"Les images que l'on va pouvoir trouver, que ce soit sur le web francophone ou arabophone, il faut pouvoir les sourcer. C'est comme un travail de journaliste et de chercheur", explique Marion Macé, doctorante à l’Université de Lorraine et elle aussi membre du projet. "C'est très compliqué. C'est vraiment un travail de fourmi."

Documenter le patrimoine

L'équipe poursuit cependant son travail minutieux afin de pouvoir documenter ce patrimoine en péril. "Ce que l'on entend par patrimoine, ce sont tous ces points d'ancrage mémoriels et tous ces lieux qui vont être constitutifs des valeurs subjectives de notre identité", précise Marion Macé. "Et ce patrimoine-là, il faut plusieurs siècles pour le fabriquer."

Gaza possède en effet une riche histoire. Les nombreux sites présents sur le territoire, qui remontent à l'histoire antique, "traversent toutes les périodes: l'histoire romaine, l'histoire byzantine, mais aussi l'histoire ottomane, l'histoire mamelouk ou l'histoire du mandat britannique", explique Malika Rahal.

Mais ces lieux – commerciaux, portuaires ou de cultes – continuent "à avoir une importance pour les gens d'aujourd'hui". Ils sont encore "des lieux de vie, d'activités ou de travail", poursuit l'historienne. "En détruisant ces lieux, on détruit une partie de la richesse et du patrimoine de la société d'aujourd'hui", dit-elle.

Importance de la mémoire

Selon la doctorante Marion Macé, qui réalise une thèse sur la politisation du territoire et de la notion d'espace au cours du conflit israélo-palestinien, les attaques sur Gaza et ses infrastructures démontrent une volonté politique de détruire son identité.

"Depuis les attaques terroristes du 7 octobre, ce que l'on observe, c'est que l'on est passé d'une logique de riposte à une logique de destruction", affirme-t-elle. "Donc on peut parler d'urbicide dans la mesure où tous les lieux patrimoniaux et mémoriels sont détruits les uns après les autres."

Or, afin d'envisager un jour une reconstruction de Gaza, "il faut pouvoir disposer d'une base mémorielle". "Nous savons que si un jour la société palestinienne doit se reconstruire, si la bande de Gaza doit se reconstruire, elle le fera aussi autour de son histoire", ajoute Marion Macé.

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Enseignements des autres conflits

La destruction du territoire peut donc s'avérer "décourageante", regrette Malika Rahal. "C'est une sorte de course contre-la-montre pour essayer de documenter des choses avant qu'elles ne soient détruites", déclare-t-elle. Mais si le travail du projet "Gaza, inventaire d’un patrimoine bombardé" n'a pas d'impact sur la réalité de la guerre, l'expertise de ses membres est précieuse pour l'avenir du territoire.

Le travail des historiennes et des historiens sur la Seconde Guerre mondiale, par exemple, leur a notamment permis de réfléchir aux conditions politiques et matérielles nécessaires à la reconstruction d'une ville. "C'est extraordinairement coûteux, bien sûr, mais cela nécessite aussi une volonté politique importante", explique Malika Rahal. Une reconstruction ne peut donc pas être envisagée dans des situations précaires, en pleine guerre, mais uniquement "une fois que la situation politique est réglée".

"Et donc réfléchir à partir de cette comparaison, c'est ce qui nous permet de continuer à voir que notre travail de documentation peut être utile aussi à apporter de la documentation au moment où les archives sont détruites, pour que plus tard, la société palestinienne puisse aussi se reconstituer", conclut-elle.

L'état des lieux du patrimoine de Gaza au 30 décembre 2024. [Gaza, inventaire d’un patrimoine bombardé - Sébastien Haule]
L'état des lieux du patrimoine de Gaza au 30 décembre 2024. [Gaza, inventaire d’un patrimoine bombardé - Sébastien Haule]

Propos recueillis par Aleksandra Planinic

Adaptation web: Emilie Délétroz

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