Créée par l’administration George W. Bush après les attentats du 11 septembre 2001, la prison de Guantanamo est située au bord de la mer des Caraïbes, sur une base américaine à Cuba. Les Etats-Unis louent ce coin de terre à Cuba pour une somme dérisoire depuis 1903.
A l’époque, les images de détenus dans des cages, vêtus de combinaisons orange, les yeux bandés et portés par leurs gardiens, ont marqué les esprits. Aujourd’hui, Guantanamo abrite encore trente détenus. En 22 ans, environ 780 prisonniers y sont passés, la plupart arrêtés sur simple dénonciation.
Une tache indélébile sur la démocratie américaine
Un véritable scandale, souligne Nadia Boehlen, porte-parole de la section suisse d’Amnesty International, jeudi dans l’émission Tout un Monde de la RTS. "Pendant plus de 22 ans, on y a détenu des hommes sans inculpation et sans procès, avec toutes les dérives que cela implique", souligne-t-elle.
Sans inculpation ni procès, le risque de mauvais traitements et de tortures est élevé, ce qui est d’ailleurs arrivé.
Selon elle, Guantanamo n’est que la partie visible d’un vaste système répressif mondial, dissimulé et opéré en toute impunité par les Etats-Unis et la CIA.
Preuves inutilisables et procès impossibles
Il fut un temps où les présidents américains faisaient de Guantanamo un symbole. Aujourd’hui, c’est le silence et l’absence d’images qui dominent. "Que sont devenus les prisonniers et pourquoi la prison est-elle tombée dans l’oubli ?", s’interroge la journaliste Laurence Cuvillier dans un reportage récemment diffusé sur ARTE.
Il y a dix ans, la presse était la bienvenue sur la base, elle pouvait filmer l’intérieur de la prison et multiplier les interviews avec les soldats et les hauts gradés. Aujourd'hui, l’ambiance a radicalement changé, explique la journaliste qui a pu passer une semaine à Guantanamo ce printemps. "L’équipe de tournage est désormais constamment escortée par un militaire qui autorise ou non les prises de vues, et les interviews sont pratiquement interdites, tout comme filmer la prison", précise-t-elle.
Des centaines de prisonniers sont passés par ces centres de détention secrets et ont été libérés au compte-gouttes, en toute discrétion, sans qu’aucune charge n’ait été retenue contre eux. Une fois transférés à Guantanamo, ils avaient déjà subi des mois de torture, rendant les procès presque impossibles à mener, car toutes les preuves obtenues sous la torture n’ont aucune validité juridique, souligne Laurence Cuvillier.
Un ancien prisonnier, qui a passé quatorze ans à Guantanamo avant d’être libéré en 2016 sans aucune preuve, excuse ou compensation, estime que seulement 2% des détenus de Guantanamo avaient effectivement des liens avec les dirigeants d’Al-Qaïda.
Son inutilité dans la lutte antiterroriste
Frédéric Esposito, spécialiste du terrorisme au Global Studies Institute de l’Université de Genève, estime que Guantanamo n’a pas été efficace comme outil de dissuasion contre le terrorisme. En observant l’évolution du terrorisme international, il note que des groupes comme Al-Qaïda et Daesh ont continué à se développer de manière significative au cours de la dernière décennie, ce qui suggère que la prison de Guantanamo n’a pas atteint ses objectifs dans la lutte contre le terrorisme.
Trop de temps a passé, trop de preuves ont disparu. Il y a un sentiment de grande amertume, et toutes ces années ont été une lente torture psychologique.
Les familles des victimes du 11 septembre 2001 attendent toujours un procès. Inlassablement, certaines continuent de se rendre à Guantanamo pour suivre les audiences préliminaires des quatre derniers prévenus.
Mais elles sont découragées et épuisées, explique Laurence Cuvillier: "La veuve d’une des victimes du World Trade Center me disait même qu’on a l’impression qu’ils attendent tous que l’on meure, que le sujet du 11 septembre va être laissé à l’abandon". Elles ressentent une grande amertume et considèrent ces années comme une lente torture psychologique.
Sujet radio: Nicolas Vultier
Adaptation web: Miroslav Mares