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Guerre entre Israël et le Hamas: la justice internationale émettra-t-elle des mandats d'arrêt?

Israël-Hamas, la justice et les crimes de guerre
Israël-Hamas, la justice et les crimes de guerre / Temps présent / 47 min. / le 25 avril 2024
Y aura-t-il des mandats d’arrêt contre le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu? Ou contre Yahya Sinouar, le chef du Hamas à Gaza? Après six mois de guerre entre Israël et le mouvement palestinien, après les échecs récurrents des négociations diplomatiques, les regards se tournent vers la Cour pénale internationale (CPI).

Basée à La Haye, la CPI a pour mandat d'enquêter sur les crimes de guerre, les crimes contre l'humanité, les génocides et, sous certaines conditions, les crimes d'agression. Mais l'instance détermine la responsabilité d'individus et non celle d'un Etat.

Mais alors, a-t-elle vraiment les moyens d'agir dans un conflit aussi polarisant à travers le monde? Active depuis 2002 et basée sur le Traité de Rome de 1998, la CPI a justement été créée en dehors du système de l'ONU. Elle est dotée d'un procureur en chef indépendant qui doit lui permettre de dépasser les blocages du Conseil de sécurité.

Une justice lente

Dans le cadre de la guerre entre Israël et le Hamas, Karim Khan, le procureur en chef de la CPI, n'est que rarement sorti de son silence. Lors d'une conférence de presse au Caire le 30 octobre 2023, il a toutefois affiché sa détermination.

"Mon principal et unique objectif doit être d'obtenir justice pour les victimes et de respecter mon engagement lorsque j’ai prêté serment en vertu du Statut de Rome (...) en examinant impartialement les preuves et en défendant les droits des personnes, qu'elles soient des Palestiniens en Cisjordanie ou à Gaza ou qu’elles soient juives en Israël", a-t-il dit.

Karim Khan, procureur de la Cour pénale internationale, à Caracas, le 22 avril 2024. [REUTERS - Leonardo Fernandez Viloria]
Karim Khan, procureur de la Cour pénale internationale, à Caracas, le 22 avril 2024.  [REUTERS - Leonardo Fernandez Viloria]

La justice est toutefois lente. Une réalité souvent difficile à accepter avec l’accumulation d’images insoutenables diffusées quotidiennement et quasiment en direct dans les médias ou sur les réseaux sociaux.

Toutes ces images sont d’importantes preuves potentielles de crime de guerre. En particulier car les représentants de la CPI, y compris le procureur Karim Khan, n’ont jamais pu se rendre dans la bande de Gaza. Ce matériel visuel est donc décrypté et vérifié grâce aux technologies d’analyse d’opensource et viennent s’ajouter à la collecte d’images satellites et aux témoignages pour composer les dossiers à charge.

Le siège complet de Gaza pointé du doigt

Le rôle du procureur est d’identifier l'individu responsable et de pouvoir prouver de manière claire le crime de guerre. Une mission qui prend du temps, comme l’explique Johann Soufi, avocat spécialisé en droit international : "J’ai participé à de nombreuses enquêtes internationales, je sais que c'est compliqué. Il n’est pas facile de remonter une chaîne de commandement, notamment sur certains crimes", décrypte-t-il dans l'émission Temps présent.

Pour Vladimir Poutine par exemple, un mandat d’arrêt a pu être délivré sur la base du décret présidentiel, signé par le président russe lui-même, ce qui établissait un lien direct entre le crime de déportation et de naturalisation d’enfants ukrainiens et le responsable politique.

Dans le conflit entre Israël et le Hamas, la situation est plus compliquée, mais Johann Soufi estime que la CPI pourrait déjà poursuivre certains dirigeants israéliens pour le crime de famine dans la bande de Gaza

Des enfants remplissent des bidons d'eau dans la Bande de Gaza. [RTS]
Des enfants remplissent des bidons d'eau dans la bande de Gaza. [RTS]

"La privation d'eau, de nourriture, d'aide humanitaire dans la bande de Gaza aujourd'hui résulte de décisions politiques, et notamment de celle du ministre de la Défense et du cabinet de guerre d'exercer un siège complet. C’est un crime au regard du droit international. C'est un crime de guerre d'utiliser la famine comme une méthode de guerre mais c'est aussi possiblement un crime contre l'humanité", estime-t-il.

La "crédibilité" de la CPI en jeu

Dans l’autre camp, des familles de victimes de l’attaque du Hamas ont sollicité et rencontré le procureur Karim Khan. Approchée par certaines d’entre elles, Yael Vias Gvirsman, avocate israélienne spécialiste en droit international, a monté un dossier solide. Pour elle, il est nécessaire d’aller au-delà de la justice israélienne. "Les personnes qui ont commis les faits du 7 octobre, qui ont massacré une population civile sans défense de manière absolument cruelle et sadique, Israël va les juger s'il les attrape. Par contre, les architectes, les financeurs, les commandants, les hauts rangs diplomatiques ou militaires sont en principe hors de portée de l'Etat d'Israël", juge-t-elle.

Les enquêtes menées par l’instance à La Haye sont confidentielles. On ne sait donc pas qui et quand et si des mandats d’arrêt pourraient être prononcés prochainement. La semaine dernière, plusieurs médias israéliens ont rapporté que les autorités israéliennes réfléchissaient à une stratégie contre la possibilité que la CPI émette des mandats d’arrêt à l'encontre de certains responsables du gouvernement ou de l’armée israélienne. Mais depuis, rien d’autre n’a filtré.

Johann Soufi espère de son côté une action prochaine de la Cour pénale internationale, car si elle ne faisait rien, "ça poserait une question à la fois de l'impartialité des poursuites ou d'entraves politiques vis-à-vis de son mandat. C'est la question de la légitimité de la Cour et de sa crédibilité qui est en jeu", estime-t-il.

Et d'ajouter: "La justice pénale internationale ne dispose pas de moyens de puissance, elle n'a pas de forces propres et donc son pouvoir, son influence, c'est d'abord sa légitimité, sa crédibilité et cette crédibilité tient de la cohérence entre son discours et ses valeurs et ses actes."

Isabelle Ducret

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La justice du plus fort?

La CPI compte 124 Etats parties, soit deux tiers du monde. De puissants Etats n'en font toutefois pas partie, à l'instar de la Russie, de la Chine, d'Israël mais aussi des Etats-Unis.

A Washington, on affiche un soutien fluctuant aux démarches de la Cour. On y est favorable lorsqu'il s'agit de poursuivre Vladimir Poutine, mais on refuse l'idée qu'un soldat américain puisse être jugé pour ses actes en Afghanistan ou ailleurs.

Le plus farouche opposant de la CPI est sans doute Donald Trump. En 2020, il a par exemple placé son ancienne procureure en chef Fatou Bensouda sur liste noire, un sort normalement réservé aux terroristes ou aux personnes ayant commis des crimes internationaux.

Le président Joe Biden a depuis levé cette mesure, mais il reste toujours dans les tiroirs un décret présidentiel remontant à l'ère George Bush. Surnommé "The Hague Invasion Act", ce dernier autorise l'administration américaine à aller jusqu'à envahir les Pays-Bas pour récupérer ses ressortissants s'ils étaient traduits en justice devant la Cour pénale internationale.

Plus de cent journalistes morts à Gaza

Dans la guerre entre le Hamas et Israël, les journalistes ont payé un lourd tribut. Le nombre de leurs morts dans la bande de Gaza est si élevé et les circonstances de leurs décès si anormales que Reporters sans Frontières (RSF) a déposé deux plaintes auprès de la CPI.

"Constatant l’hécatombe de journalistes à Gaza, et le ciblage dont ils semblent être victimes, RSF appelle le procureur de la CPI, Karim Khan, à dire clairement qu’il fait une priorité de l’élucidation des crimes commis contre les journalistes à Gaza et de la poursuite de leurs auteurs", a déclaré Christophe Deloire, secrétaire général de l'organisation.

Le procureur en chef de la CPI a répondu le 5 janvier 2024 à RSF qu’il allait inclure les crimes contre les journalistes dans son enquête sur la Palestine. Dans son message, il a rappelé que "les journalistes sont protégés par le droit international humanitaire et le Statut de Rome, et ne doivent en aucun cas être pris pour cibles dans l’exercice de leur importante mission."