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Haïti s’enfonce toujours plus dans l’horreur et le chaos, MSF réduit son aide

n raison des violences des gangs, MSF suspend ses activités en Haïti. [Keystone - Odelyn Joseph]
La violence en Haïti, trop dangereuse même pour MSF / Tout un monde / 6 min. / lundi à 08:13
La violence en Haïti ne fait qu'empirer, si tant est que cela soit encore possible. Les attaques de bandes armées se multiplient, y compris dans la capitale. Alors que l'ONU a dénombré plus de 4900 morts depuis le début de l'année, les ONG continuent à déserter le terrain face au danger visant leurs propres collaborateurs.

La semaine dernière, la police a annoncé avoir tué 28 membres de gangs dans une banlieue de Port-au-Prince, avec l'appui d'habitants excédés.

>> Plus de détails dans notre article : Vingt-huit membres de gangs tués par la police haïtienne et des habitants de Port-au-Prince

La même semaine, Médecins sans frontières (MSF) a annoncé la suspension de ses activités dans la capitale suite à des menaces proférées par des membres des forces de l'ordre et même des attaques, rendant la situation toujours plus incontrôlable et plus violente.

Personnel humanitaire agressé

"Pour nous, une ligne rouge a vraiment été franchie: notre personnel national et international a été agressé, physiquement et verbalement, ce qui n'était jamais arrivé en plus de 30 ans de présence en Haïti", a expliqué le chef de mission de MSF en Haïti Christophe Garnier lundi dans l'émission Tout un monde de la RTS. Il évoque notamment une menace de viol sur le personnel et une autre, récente, de "mettre tout le monde dans des voitures et d'y mettre le feu".

"Ce jour-là, deux des trois patients présents dans une de nos ambulances ont été descendus du véhicule. On a ensuite entendu une quinzaine de coups de feu. Nous n'avons aucun doute sur le fait que ces patients sont décédés", poursuit Christophe Garnier.

On est parfaitement conscient des conséquences, mais on ne peut pas se permettre de risquer plus. C'est la moins pire des solutions

Christophe Garnier, chef de mission de MSF en Haïti

D'autres menaces ont suivi, ce qui a forcé l'organisation humanitaire à suspendre l'admission de nouveaux patients. A contrecoeur, car MSF est l'une des seules ONG encore présentes en Haiti, alors que la population en a désespérément besoin.

"On était la seule [ONG de secours à la population encore sur place, ndlr] dans tous les quartiers de Port-au-Prince. L'offre de soins est extrêmement pauvre et se réduit un peu plus à chaque fois. C'est effectivement une tragédie et on est parfaitement conscient des conséquences. Mais on ne peut pas se permettre de risquer plus. C'est la moins pire des solutions", défend le chef de mission de MSF en Haïti.

>> Lire aussi : En Haïti, MSF au chevet d'une population qui veut croire en son avenir

Des policiers en roue libre

Si la situation a dérapé jusqu'au point où même des policiers menacent le personnel humanitaire, c'est parce que le vide de pouvoir dans le pays est devenu tel, et sur une longue période, que toutes les institutions publiques s'écroulent. Certains éléments des forces de l'ordre se retrouvent en roue libre, sans aucun contrôle.

"Le fait que MSF soigne tout le monde, y compris des membres de gangs armés, n'est parfois pas accepté par la police et la population", explique Frédéric Thomas, spécialiste d'Haïti au Centre d'études tricontinentales basé à Louvain-la-Neuve.

Aucune stabilisation en vue

De nombreux observateurs pensaient que le départ de l'ancien Premier ministre Ariel Henry en mars dernier allait faire diminuer la violence et que la situation allait se stabiliser, mais il a vite fallu déchanter. L'un des plus puissants chefs des bandes armées, Jimmy Cherizier, continue à semer la terreur. Il a appelé il y a dix jours à renverser le conseil présidentiel de transition [lire encadré 2].

>> Lire à ce sujet : La démission du Premier ministre en Haïti offre une "lueur d'espoir"

85% de la capitale Port-au-Prince est aux mains des gangs, et plus de 700'000 personnes, en majorité des femmes et des enfants, ont dû fuir la violence

Frédéric Thomas, spécialiste d'Haïti au Centre d'études tricontinentales à Louvain la Neuve

La mise en place de ce dernier a d'ailleurs été un échec, selon Frédéric Thomas, avec "des luttes intestines au sein du pouvoir, sans consultation de la population. Il n'y a aucune avancée structurelle réelle par rapport à la mainmise des bandes armées, au contraire". Si bien qu'aujourd'hui, on estime que "85% de la capitale Port-au-Prince est aux mains des gangs, que plus de 700'000 personnes, en majorité des femmes et des enfants, ont dû fuir la violence, avec un gouvernement qui semble inactif" et absent du terrain, décrit le spécialiste.

"L'Etat n'a pas su assurer notre sécurité"

Sur le terrain, ce constat est confirmé: "L'Etat n'a pas su assurer notre sécurité. Nous nous sommes battus seuls pour résister, avec des pierres, des bouteilles...", raconte un habitant interviewé récemment par une chaîne d'information française. Il y a peu, le conseil de transition a limogé le Premier ministre en place depuis cinq mois pour le remplacer par un homme d'affaires, mais rien ne semble véritablement changer.

>> Lire à ce sujet : Un nouveau gouvernement nommé en Haïti pour rétablir la stabilité

Pour tenter de mettre fin à cette escalade, la communauté internationale a déployé cet été une force multinationale de soutien à la police, conduite par le Kenya et appuyée par l'ONU et les Etats-Unis. Mais seuls 400 hommes sur les 2500 promis ont été déployés.

>> Lire : Un premier contingent de policiers kényans est arrivé en Haïti dans le cadre d'une mission de l'ONU

Impunité généralisée

Aujourd'hui, les Américains proposent de transformer ce contingent en véritable mission de maintien de la paix, ce qui suscite les doutes de plusieurs pays, Chine et Russie en tête. Frédéric Thomas partage ces doutes: "C'est une fausse bonne solution toujours mise en avant [...] au détriment d'autres solutions, comme un embargo sur les armes", estime-t-il, même si un tel embargo a déjà été décrété par l'ONU.

>> Lire  : L'ONU vote un embargo mondial sur tous les armements à Haïti

Mais cet embargo ne fonctionne pas: "Les bandes armées continuent à s'approvisionner en armes et en munitions sans aucune difficulté. Et plus de 80% de ces armes proviennent des Etats-Unis!", remarque Frédéric Thomas.

Aucun chef de gang n'a été jugé, et leurs relais politiques et économiques non plus

Frédéric Thomas

Deuxième problème: sur place, aucun chef de gang n'est véritablement inquiété. "Aucun n'a été jugé, et leurs relais politiques et économiques non plus. Un comité de sanctions a été mis en place par l'ONU, mais il n'y a que sept personnes sur cette liste, dont six chefs de gangs et un seul homme politique", déplore le spécialiste.

Pour le coordinateur du programme Haïti au sein de l'organisation Global Initiative Romain Le Cour, le soi-disant gouvernement étant incapable d'agir, c'est à la communauté internationale de le faire, et particulièrement aux Etats-Unis, car ils sont "impliqués dans la politique haïtienne depuis une trentaine d'années".

Pour rappel, la population attend depuis bientôt 10 ans que des élections présidentielles soient organisées, les dernières ayant eu lieu en 2016.

Sujet radio: Francesca Argiroffo

Adaptation web: Vincent Cherpillod

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Des violences sexuelles généralisées

Les violences sexuelles sur les femmes sont en train de se "généraliser" en Haïti, et l'accès aux soins se raréfie, a dénoncé lundi Human Rights Watch. Selon l'ONG, 4000 femmes, adultes et mineures, ont rapporté avoir subi des violences sexuelles entre janvier et octobre. Le nombre de cas dans lesquels les enfants sont victimes a décuplé par rapport à la même période en 2023, ajoute-t-elle, citant des chiffres de l'ONU. Et la plupart des cas restent sous silence, déplore encore Human Rights Watch.

"Les groupes criminels ont souvent utilisé les violences sexuelles pour provoquer la peur sur des territoires rivaux. Les affrontements entre ces groupes ont diminué en 2024, mais les attaques sur la population, la police et contre les services clés ont augmenté, y compris à travers la généralisation de ces violences sexuelles", détaille l'organisation internationale.

Aucune crainte des conséquences

"L'Etat de droit en Haïti est tellement en miettes que des membres de groupes criminels violent des filles ou des femmes sans craindre aucune conséquence", souligne la chercheuse sur les crises et les conflits à Human Rights Watch Nathalye Cotrino.

L'organisation a mené des dizaines d'entretiens à Port-au-Prince et à distance. Selon elle, "de nombreuses victimes subissent les effets des abus physiques et des mauvais traitements ou finissent enceintes, sans avoir accès à des services médicaux, psychosociaux ou juridiques, même celles qui contractent des infections sexuellement transmissibles, ce qui est le cas pour un grand nombre de victimes, en particulier le VIH".

Nathalye Cotrino appelle la communauté internationale à "augmenter de toute urgence le financement de programmes complets de soutien aux victimes de violences sexuelles" et à octroyer aux autorités les "ressources nécessaires pour rétablir l'Etat de droit, assurer une sécurité de base et reconstruire les systèmes de santé et de justice".

>> Lire aussi : "Ils sont pires que des monstres": Haïti est plongé dans la violence des gangs

Un membre de gang sur deux est un mineur

Le nombre d'enfants recrutés par des bandes armées a augmenté de 70% en Haïti sur un an, a alerté l'UNICEF dimanche. Ils forment près de la moitié des effectifs des gangs dans ce pays des Caraïbes ravagé par les violences. "Ce pic sans précédent, enregistré entre les deuxièmes trimestres de 2023 et 2024, montre une aggravation de la crise de la protection de l'enfance", s'inquiète le fonds de l'ONU pour l'enfance.

Selon l'UNICEF, l'escalade de la violence, la pauvreté généralisée, le manque d'accès à l'éducation et le quasi-effondrement des services essentiels alimentent le recrutement massif d'enfants. "Les enfants d'Haïti sont pris au piège d'un cercle vicieux: ils sont recrutés par les groupes armés qui alimentent leur désespoir et leur nombre ne cesse d'augmenter", a déclaré la directrice générale de l'organisation onusienne Catherine Russell.

Un ancien policier devient chef de gang 

Ces gangs, qui contrôlent environ 80% de la capitale Port-au-Prince, s'en prennent régulièrement aux civils malgré le déploiement cette année d'une mission multinationale d'appui à la sécurité menée par le Kenya et soutenue par l'ONU.

Sous la férule de Jimmy Chérizier, ancien policier devenu chef de gang et surnommé "Barbecue", la majorité de ces groupes armés ont formé cette année une coalition dans le but d'obtenir le départ de l'impopulaire Premier ministre Ariel Henry, qui a démissionné en avril dernier.

>> Relire : Le Premier ministre Ariel Henry démissionne en pleine vague de violences en Haïti

Après des semaines de lutte pour le contrôle du gouvernement, son successeur Garry Conille vient d'être démis de ses fonctions par le conseil présidentiel de transition, qui a nommé à sa place Alix Didier Fils-Aimé.