C'est un concept de plus en plus présent dans les médias mais aussi dans les discours politiques: le Sud global. Une notion aux contours flous, mais qui permet de rendre compte de la volonté de changement qui se fait de plus en plus entendre de la part de nombreux pays en Afrique, en Asie ou en Amérique latine.
Ces pays ont "des expériences communes, notamment en ce qui concerne leur insatisfaction par rapport au système international", soulève Aude Darnal, chercheuse au centre Stimson à Washington, et invitée de Géopolitis. "Ils sont marginalisés dans les prises de décisions", poursuit-elle. "Les politiques internationales leur sont structurellement défavorables: on peut parler de la question de la dette internationale, de celle de l'accès aux flux financiers internationaux pour se développer et promouvoir la prospérité pour leur population."
Revendiquer plus de pouvoir
En mars 2022, quelques jours après le début de l’offensive russe en Ukraine, l’Assemblée générale des Nations unies adoptait à une large majorité une résolution qui exigeait que la Russie cesse immédiatement ses attaques. Cent quarante-et-un pays ont soutenu le texte. La Russie et quatre alliés proches - Biélorussie, Erythrée, Corée du Nord et Syrie - le refusent. Mais 35 pays majoritairement situés en Afrique et en Asie décident de s’abstenir, dont l'Afrique du Sud.
Son ambassadrice auprès de l'ONU, Mathu Joyini, précisait alors: "Il ne faudrait pas que la situation en Ukraine ait des répercussions négatives sur d'autres priorités de la communauté internationale et sur le reste du travail des Nations unies. Nous notons avec inquiétude que toutes les situations de conflit n'ont pas reçu la même attention."
Un vote qui témoigne du fossé qui se creuse entre d’un côté, les pays dits occidentaux - Etats-Unis, Europe, Canada, Australie ou encore Nouvelle-Zélande - et de l’autre, ces pays dits du Sud global qui dénoncent une domination occidentale dans les institutions internationales. Selon Aude Darnal, qui était de passage à Genève dans le cadre de la 22e édition du Festival du film et forum international sur les droits humains (FIFDH), le concept de Sud global permet de "ne pas regarder ces pays uniquement comme des acteurs passifs du système international qui ne seraient que des pions pour les grands pouvoirs, mais comme des acteurs actifs avec un pouvoir, avec des intérêts nationaux, qui veulent et qui doivent prendre part au système de gouvernance globale".
Réformer l'ONU
Une des revendications centrales des pays du Sud global concerne les réformes des grandes institutions internationales créées à la fin de la Seconde Guerre mondiale: l'Organisation des Nations unies, mais aussi le Fonds monétaire international et la Banque mondiale, issus des Accords de Bretton Woods signés en 1944.
"Il s'agit vraiment de remettre en question les organisations internationales, notamment parce qu'elles sont extrêmement inégalitaires", estime Aude Darnal. "Ce système - qui a été créé en 1945 au moment où tous ces pays [du Sud Global] n'existaient pas puisqu'on était encore dans un monde colonial - a été créé par une minorité pour les intérêts d'une minorité."
Il s'agit vraiment de remettre en question les organisations internationales, notamment parce qu'elles sont extrêmement inégalitaires.
A l'ONU, le fonctionnement du Conseil de sécurité est contesté depuis longtemps. C’est le Conseil qui, selon la Charte des Nations unies, a la responsabilité principale du maintien de la paix et de la sécurité internationale. Il peut décider d’ordonner des sanctions contre un Etat ou une entité et même autoriser une intervention militaire. Sur ses 15 membres, 10 sont élus pour 2 ans dont actuellement la Suisse et 5 sont des membres permanents - Chine, Etats-Unis, France, Royaume-Uni, Russie - qui disposent chacun d’un droit de veto sur les décisions qui s’y prennent.
Pendant plus de cinq mois, le Conseil de sécurité est resté bloqué sur la question d’un cessez-le feu entre Israël et le Hamas, avec des veto américains, mais aussi russes et chinois. Il a fallu attendre la fin du mois de mars pour qu’une résolution soit finalement adoptée.
Fin du statu quo?
Pour Aude Darnal, les demandes de réformes des institutions internationales touchent à la question fondamentale du pouvoir dans les relations internationales. "Il faut que les pouvoirs en place, les grands Etats en place acceptent ce partage de pouvoir et acceptent aussi des visions qui ne sont pas nécessairement les leurs, sans pour autant que cela signifie que la coopération ne soit pas possible", estime la chercheuse.
Lors de la dernière session ordinaire de l'Assemblée générale des Nations unies, en septembre, son secrétaire général António Guterres soulevait aussi la nécessité, selon lui, d'une réforme des institutions internationales: "L’alternative à la réforme, ce n’est pas le statu quo. L’alternative à la réforme, c'est une fragmentation plus grande. C’est soit la réforme, soit la rupture."
Elsa Anghinolfi
Le Sud global, l'histoire d'un concept
Le Sud global n'est pas une notion récente. Elle a émergé au fil du temps et de la réflexion des chercheurs sur les tensions et les clivages entre les différents pays du monde. "Ce concept prend racine dans celui du Sud, que l'on retrouve dès les années 1930 avec notamment le philosophe marxiste italien Antonio Gramsci, qui utilise le concept du Sud pour parler des inégalités systémiques et structurelles entre le nord et le sud de l'Italie", explique Aude Darnal.
"On retrouve ensuite ce concept du Sud dans les grands mouvements des anciens pays colonisés", poursuit la chercheuse, "que ce soit pour renforcer la coopération entre eux mais également pour remettre en question le système international qui les défavorise." Au fil du temps, ce concept du Sud est devenu celui du Sud global afin de remettre la question géopolitique au centre.
"Avant, on utilisait le concept des pays en développement, en sous-développement auparavant et le concept du tiers-monde. Tous ces labels ont été critiqués au fil du temps, notamment par rapport à cette subordination qui est sous-jacente", explique Aude Darnal. Pour la chercheuse, on ne doit pas voir le Sud global comme un groupe défini d'Etats avec une liste établie de pays membres, mais plutôt comme un concept.