Pendant cent jours, d'avril à juillet 1994, des membres des forces armées gouvernementales rwandaises, des miliciens ultranationalistes hutus mais aussi des citoyens ordinaires massacrent entre 600'000 et un million de personnes à l'arme à feu, à la machette, à la grenade ou encore au gourdin.
Des centaines de milliers de femmes sont également violées. Trente ans plus tard, des charniers sont encore mis au jour de temps en temps.
Les victimes des atrocités ne sont pas toutes originaires de la minorité tutsie, bien que les tueries aient principalement visé cette composante de la société rwandaise. Des opposants politiques et des Hutus modérés ont également été assassinés.
Une montée de la violence
Le génocide prend racine dans la période coloniale et dans les violences qui ont marqué le pays après son indépendance. Les voici à grands traits: le Royaume du Rwanda, colonisé par l'Allemagne, passe sous giron belge après la Première Guerre mondiale.
Sa société est composée de deux groupes principaux: les Tutsis et les Hutus. Ces derniers représentent environ 85% de la population. On pourrait qualifier ces groupes d'"ethnies", mais le terme est aujourd'hui fortement contesté. Les frontières qui les distinguent sont poreuses; leurs langues sont les mêmes. La distinction des deux groupes reflète plutôt leurs activités, les Tutsis vivant surtout de l'élevage, les Hutus des cultures.
Les colonisateurs se sont toutefois basés sur cette division de la société pour asseoir leur pouvoir. Tout en l'interprétant à leur manière, c'est-à-dire avec une vision raciste. Les Tutsis, jugés plus nobles, sont favorisés. Les documents d'identité belges indiquaient clairement si la personne était d'ethnie "tutsie" ou "hutue".
La décolonisation amorcée dans les années 1950 est marquée par des tensions et des violences entre des Tutsis et des Hutus. Le Rwanda, officiellement indépendant depuis 1962, est gouverné par des Hutus. Des centaines de milliers de Tutsis fuient le pays, d'autres sont massacrés, parfois en représailles d'attaques d'exilés menées depuis les pays voisins.
Un pays en guerre
Au début des années 1990, la guerre civile fait rage au Rwanda. Le conflit oppose les forces armées rwandaises (FAR) au Front patriotique rwandais (FPR). Cette rébellion, créée en Ouganda voisin à la fin des années 1980 par des Tutsis en exil, réclame le retour au pays et un partage du pouvoir.
La guerre accroît les divisions. La propagande que met en place la frange la plus radicale des Hutus sera le terreau idéologique du génocide. Les Tutsis sont rendus complices des attaques menées par les combattants du FPR. Prêchant la haine et l'exclusion, des publications représentent le Tutsi comme un être inférieur, vil et malhonnête.
En août 1993, l’accord d’Arusha (du nom de la ville en Tanzanie où il a été signé) entre le gouvernement rwandais et le FPR donne une lueur d'espoir. Mais cette tentative d'instaurer la paix fait long feu. Ses principes ne seront pas respectés.
Un attentat qui déclenche l'horreur
La violence explose en avril 1994. Dans la soirée du 6 avril, l'avion du président hutu rwandais Juvénal Habyarimana, qui rentre de Tanzanie accompagné du président du Burundi Cyprien Ntaryamira, est abattu par deux missiles alors qu'il approche de l'aéroport de la capitale Kigali. Aucun occupant de l'appareil ne survit à l'attentat.
L'identité des auteurs n'a jamais été établie et fait toujours l'objet de nombreux débats et spéculations. Mais au lendemain de l'attaque, la Radio Télévision Libre des Mille Collines (RTLM) désigne le FPR comme responsable. La radio appelle les habitants à débusquer tous les "Inyenzi", les "cafards", c'est-à-dire les Tutsis.
La RTLM joue un rôle central dans le génocide, incitant à la violence et désignant les cibles à attaquer. Les massacres au Rwanda sont une entreprise de mort bien orchestrée, avec la volonté claire d'éradiquer la minorité tutsie. Les ordres sont transmis par des responsables politiques hutus extrémistes aux échelons locaux et notamment aux Interahamwe, une milice ultranationaliste hutue créée au sein du parti du président Juvénal Habyarimana.
Victoire du FPR
Des Hutus modérés ont également été pris pour cibles. Ainsi, le 7 avril, la garde présidentielle assassine la Première ministre Agathe Uwilingiyimana, ainsi que son époux et dix casques bleus belges envoyés pour assurer sa sécurité. D'autres responsables politiques sont également tués ce jour-là.
Le déferlement de violence prend fin trois mois plus tard, avec l'arrivée au pouvoir du FPR. Le mouvement prend Kigali le 4 juillet, puis se rend maître de l'essentiel du pays dans les jours qui suivent. Depuis, le FPR est la pièce maîtresse du gouvernement du pays. L'homme fort du Rwanda, Paul Kagame, président depuis près d'un quart de siècle, est issu de ses rangs.
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Antoine Michel