"Ils m’ont mise dans un fourgon où il y avait déjà 15 autres détenus", témoigne une journaliste russe arrêtée
Dernier exemple en date, la condamnation vendredi à 16 ans de prison du reporter américain Evan Gershkovich illustre l’importante répression que la Russie exerce sur les journalistes, les artistes, les avocats, les membres d’ONG, etc.
Elena*, journaliste indépendante de Moscou qui a accepté de témoigner pour la RTS, a été arrêtée le 17 février 2024, au lendemain de la mort d’Alexeï Navalny. Depuis, elle ne peut plus dévoiler son identité, aussi bien devant une caméra que lorsqu’elle sort de son appartement.
Ils m’ont mise dans un fourgon où il y avait déjà 15 autres personnes détenues pour avoir déposé des fleurs à la mémoire d’Alexeï Navalny
La police l'a arrêtée alors qu'elle a sorti sa caméra pour filmer un rassemblement en lien avec le décès du célèbre opposant russe.
>> Lire à ce propos : La cause du décès d'Alexeï Navalny toujours inconnue, la famille réclame sa dépouille et Après la mort d'Alexeï Navalny, 43 pays demandent une enquête internationale
"Ils m’ont mise dans un fourgon où il y avait déjà 15 autres personnes détenues pour avoir déposé des fleurs à la mémoire d’Alexeï Navalny", raconte Elena dans le 19h30 vendredi.
Elle sera libérée peu après.
Recherchée
Par précaution, dit Elena, elle va vivre quelques jours chez une amie. Mais les caméras installées dans l’immeuble filment un policier et un agent du centre E, le centre de lutte contre l’extrémisme, venus demander aux voisins de son amie s'ils ne l'avaient pas vue, photo d'elle à l'appui.
Elena commence à recevoir une trentaine d’appels téléphoniques par jour provenant de numéros inconnus de son répertoire. "J’ai vu les avatars des gens qui m’appelaient et j’ai réalisé qu’ils étaient liés aux autorités. Il y avait des drapeaux tricolores (ndlr. russes), des photos de l’époque soviétique", explique-t-elle.
Il voulait me remettre un nouvel avertissement en cas d’actions publiques. J'ai répondu que j’avais déjà signé un tel avertissement lors de ma détention illégale et que je n’avais plus d’envie de rester en contact avec eux
De passage chez elle pour récupérer des affaires, un agent du centre de lutte contre l’extrémisme l’attend en bas de son immeuble. Elle filme leur échange. Selon Elena, c’est à cause de caméras, y compris celles des interphones, qu’elle a pu être localisée.
"Il voulait me remettre un nouvel avertissement en cas d’actions publiques. J'ai répondu que j’avais déjà signé un tel avertissement lors de ma détention illégale et que je n’avais plus d’envie de rester en contact avec eux", se défend-elle.
Amendements modifiés
Mikhail Birioukov connaît bien ce genre d’affaires. Il est avocat et membre d'OVD-info, une association de défense des droits de l’homme et des médias. "Après le 24 février 2022, l’Etat russe a découvert avec une grande surprise que beaucoup de gens ne soutenaient pas ce que l’armée et le gouvernement faisaient. Il a apporté des amendements dans la législation qui augmentaient la responsabilité administrative et pénale."
Et d'ajouter: "Cela concernait non seulement des protestations anti-guerres, mais aussi juste des rassemblements dans des lieux commémoratifs au moment de la mort de Navalny".
Pendant ces manifestations, les participants sont enregistrés par des agents du centre E et filmés par les caméras de surveillance.
"Moins de gens expriment leur désaccord avec le pouvoir"
Il s'agit, selon Mikhail Birioukov, d'un moyen de pression psychologique sur les citoyens. "Nous voyons des peines de 5, 7, 10 ans dans des affaires pénales prononcées sur des bases fragiles. Nous voyons une hausse des poursuites pénales pour fait de terrorisme ou pour diffusion de ce qui est considéré comme de 'fausses informations' sur l’armée russe. Mais les poursuites administratives ont baissé. Tout simplement parce qu’il y a moins de gens qui sortent dans les rues et expriment leur désaccord avec le pouvoir."
Depuis son arrestation, Elena se sent harcelée. Pourtant, bien qu'elle vive dans l’angoisse, elle n’envisage pas son avenir ailleurs qu’en Russie.
*: Elena est un prénom d'emprunt employé pour ce témoignage
>> Pour aller plus loin, lire aussi : Que sont devenus les opposants à Vladimir Poutine?
Sujet tv: Karima Benamrouche
Adaptation web: juma