Il semble difficile d'imaginer aujourd'hui que l’Iran a été le deuxième pays musulman à reconnaître l'Etat d'Israël en 1950, deux ans après sa création.
A cette époque, Téhéran envisageait son avenir comme indissociable de celui de l’Occident. Les deux pays sont alors des partenaires politiques et commerciaux, explique mardi dans l'émission de Tout un monde Thierry Kellner, professeur à l'Université libre de Bruxelles et auteur du livre "Histoire de l'Iran contemporain": "Par exemple, Téhéran n'a pas boycotté Israël après la guerre des Six Jours, en 1967", rappelle-t-il.
Entre les années 50 et la révolution islamique de 1979, les deux pays entretiennent des relations stratégiques et une coopération militaire. "Evidemment, pour l’un comme pour l’autre, ces liens s’inscrivaient dans un cadre global d’étroite alliance avec les Etats-Unis”, souligne Jean-Paul Chagnollaud, professeur émérite des universités et spécialiste du Moyen-Orient.
Le tournant de la révolution
Mais la révolution islamique a complètement changé la donne. Peu de temps après son accession au pouvoir, l’ayatollah Khomeini qualifie Israël de "petit Satan". Téhéran a alors rapidement cessé de reconnaître l’Etat d’Israël.
"A partir de 1979, il y a une rupture qui va connaître différents épisodes. L'un des plus importants est sans doute l'invasion du Liban par Israël en 1982. Il donne l'occasion à Téhéran de construire un de ses premiers "proxy", c'est-à-dire ses alliés. L’Iran a en effet largement contribué à la création du Hezbollah, pour ne pas dire qu’ils l'ont créé à ce moment-là", indique Jean-Paul Chagnollaud.
Selon Thierry Kellner, le fondement de l'hostilité des gardiens de la révolution envers l’Etat hébreu repose notamment sur l'antiaméricanisation. "Or, Israël est souvent perçu comme le relais des Etats-Unis au Moyen-Orient. C'est dans ce contexte-là que la rupture se met en place."
Il y a aussi des raisons plus tactiques: "La révolution islamique se fait dans un pays qui est essentiellement chiite (…). La cause palestinienne apparaît comme une cause populaire dans le monde arabe, que l'on peut instrumentaliser pour la mettre au service de la République islamique et faire un peu oublier le caractère chiite de cette révolution islamique."
Hausse des tensions
Dans les années 1980, lors de la guerre Iran-Irak, Tel-Aviv fournit discrètement des armes à Téhéran, mais en dehors de cet épisode, les relations continuent de se détériorer.
Dès le début des années 1990, les confrontations prennent une tournure violente et se manifestent notamment par des attentats, comme en Argentine. Parallèlement, l'Iran noue des liens avec des mouvements palestiniens tels que le Djihad islamique ou le Hamas.
L’ambition de Téhéran d’acquérir l’arme atomique exacerbe la situation. Israël, qui le perçoit comme une menace existentielle, s’efforce d’obtenir des sanctions internationales contre la République islamique.
Un rendez-vous manqué
Des fenêtres d'opportunité pour un apaisement ont également existé, particulièrement lors de l'accord sur le nucléaire, signé sous l'égide de Barack Obama en 2015. Cependant, il a été remis en question et finalement abandonné sous la présidence de Donald Trump.
Selon Jean-Paul Chagnollaud, la représentation manichéenne que l’Occident fait de l’Iran, Etat voyou, et Israël, Etat victime, est erronée. "Bien entendu, l'Iran a été et reste l'Etat qui veut absolument attaquer Israël et il l'a fait. Mais Israël n'a pas non plus cherché l'apaisement politique. Le meilleur exemple, c'est évidemment l'accord sur le nucléaire. Netanyahu n'en voulait pas, il voulait toujours régler la question par la force", précise-t-il.
Ce rejet a été une erreur stratégique, dont les conséquences se font encore ressentir aujourd’hui, analyse le professeur. "Au Proche-Orient, ce dont on a avant tout besoin, c'est justement d'avoir des accords politiques. Cela veut dire des apaisements et du dialogue. Malheureusement, aujourd'hui, nous en sommes bien loin."
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Sujet radio: ic
Adaptation web: Miroslav Mares