Israël aurait créé plusieurs sociétés écran pour fabriquer et piéger les bipeurs qui ont explosé au Liban
Au cours des derniers mois, Hassan Nasrallah, leader du Hezbollah, a intensifié ses efforts pour sécuriser les communications internes de son groupe, inquiet des capacités israéliennes d'espionnage. Ses alliés dans la région l'ont mis en garde contre la facilité de Tel Aviv à pénétrer les téléphones portables, lire les messages cryptés et géolocaliser les membres du Hezbollah. En réaction, le leader du mouvement chiite a interdit l'usage des téléphones lors des réunions et a ordonné que les informations sur les plans du Hezbollah ne soient plus communiquées par téléphone portable.
Pour continuer à communiquer sans être repéré, le Hezbollah a ainsi choisi les bipeurs, une technologie désuète, à l'heure du tout numérique. Les commandes ont commencé en 2022, mais ont largement augmenté cet été, au moment où la tension avec Israël grandissait. Ironie du sort, ce sont finalement ces bipeurs qui ont causé de nombreux décès et blessés, souvent de façon grave, de milliers de membres du Hezbollah, dans une opération israélienne inédite, bien que l'Etat hébreu n'ait lui-même fait aucun commentaire sur une éventuelle responsabilité.
Mais alors, comment l'Etat d'Israël est-il parvenu à manipuler ces dispositifs en mains du Hezbollah?
Explosifs et sociétés écran
Un temps soupçonnée, la théorie d'un piratage externe susceptible de faire sauter les bipeurs a rapidement été écartée. Ce sont bien des explosifs placés à l'intérieur de ces dispositifs de communication qui ont été actionnés.
"Il y a de l'explosif qui a été ajouté au sein du bipeur. On parle d'à peu près 20 grammes d'explosifs par bipeur, ce qui a permis de passer inaperçu. Il a ensuite fallu rajouter un détonateur, de manière à pouvoir déclencher l'explosif. Il a probablement aussi fallu modifier le logiciel interne du bipeur pour que lorsqu'il reçoit un certain message, l'explosion se déclenche", analyse jeudi dans La Matinale Baptiste Robert, expert en cybersécurité.
"Il s'agit vraiment d'une attaque assez sophistiquée, qui nécessite beaucoup de moyens et de technicité et qui est relativement sans précédent. En tout cas, on voit rarement ce type d'opération à cette échelle et aussi coordonnée et maîtrisée", ajoute-t-il.
Interrogés par le New York Times, douze responsables israéliens des services de renseignement et de la défense ayant requis l'anonymat ont confirmé mercredi que des explosifs avaient bien été placés à l'intérieur des bipeurs. Selon trois d'entre eux, les bipeurs contenaient des batteries imprégnées de tétranite de pentaérythritol (PETN), considéré comme l'un des explosifs les plus puissants.
Trois autres responsables israéliens ont aussi confirmé au grand quotidien américain que l'explosion des bipeurs avait été actionné à l'aide d'un message en arabe envoyé sur les dispositifs et semblant provenir de dirigeants du Hezbollah.
Mais alors, comment les services de renseignement israéliens ont pu mettre la main sur les bipeurs destinés au Hezbollah? D'après les responsables questionnés par le New York Times, Tel Aviv aurait créé de toute pièce une société de fabrication de bipeurs en Hongrie: B.A.C. Consulting.
Dans le détail, cette société a obtenu une licence pour produire des appareils pour le compte d'une autre société basée à Taïwan, Gold Apollo. Dès lors, B.A.C Consulting a commencé à produire des bipeurs, les vendant à toute une gamme de clients. Mais c'est bien le Hezbollah qui l'intéressait. A ce stade, la façon dont cette société factice a réussi à attirer le mouvement chiite dans son piège n'est claire. Une infiltration israélienne dans la chaîne logistique du Hezbollah est soupçonnée.
Ce qui semble toutefois certain, d'après les responsables israéliens, c'est que Tel Aviv a pu confectionner de A à Z ces bipeurs piégés. Pour protéger l'anonymat de cette opération, au moins deux autres sociétés écran complémentaires auraient également été créées, ajoutent les responsables.
Le cas des talkies-walkies du Hezbollah qui ont eux explosé mercredi, faisant 25 morts et des centaines de blessés, reste pour l'heure plus incertain, même s'il est logique de penser que la manoeuvre ait été similaire.
Plusieurs hypothèses sur le timing de l'opération
Si la tension s'est accrue au cours des derniers mois entre Israël et le Hezbollah, l'attaque coordonnée d'Israël étonne de nombreux experts. Dans le Figaro, un haut gradé de l'armée française se demande ainsi pourquoi Tel Aviv a "grillé sa cartouche" maintenant.
Plusieurs hypothèses circulent à ce sujet, explique le haut gradé. La première suppose que le mouvement chiite était en passe de découvrir que son réseau de communication était piégé. Il aurait fallu alors agir rapidement. La seconde, qu'Israël aurait voulu déjouer une attaque prévue du Hezbollah. Enfin, la troisième, qu'Israël chercherait à perturber et déstabiliser son ennemi avant une offensive.
Rien n'est donc sûr à ce stade, mais la temporalité interroge tout de même. Dimanche, Benjamin Netanyahu a déclaré devant son cabinet de guerre qu'absolument tout serait entrepris pour permettre aux dizaines de milliers d'Israéliens chassés du nord du pays du fait des combats avec le Hezbollah de revenir chez eux. Deux jours plus tard seulement, les milliers de bipeurs explosaient dans les poches et les mains de membres de la milice chiite.
Tristan Hertig