Israël maintient le doute sur la forme et l'ampleur que prendront ses représailles en Iran
"L'Iran a fait une grosse erreur et il le paiera. Ils ne comprennent pas la détermination d'Israël à riposter contre ses ennemis, mais ils comprendront. Nous respecterons la règle que nous avons établie: quiconque nous attaque, nous l'attaquerons". Ces mots, prononcés par le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu en marge d'une réunion de son cabinet le mardi 1er octobre, jour de l'attaque iranienne, ne laissent planer aucun doute: les représailles de l'Etat hébreu sont inévitables.
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Neuf jours plus tard, aucune action concrète n'a cependant été encore entreprise par Israël. A Téhéran comme au sein de la communauté internationale, l'incertitude demeure donc quant aux réelles intentions de Tel Aviv. Pour les experts, Israël dispose de plusieurs options militaires pour s'en prendre à la République islamique d'Iran. Retour sur certaines d'entre elles, de la moins à la plus plausible.
Frappes sur l'infrastructure nucléaire
Depuis maintenant de nombreuses années, le programme nucléaire de Téhéran suscite une vive inquiétude en Occident. Une inquiétude qui est même décuplée en Israël, le pays considérant la possible acquisition de l'arme nucléaire par l'Iran comme une menace existentielle.
Au cours des dernières années, Israël a donc intensifié ses efforts pour retarder le programme nucléaire iranien à travers une série d'opérations secrètes. Parmi les actions notables figurent des cyberattaques, comme le célèbre virus Stuxnet, qui a gravement endommagé les centrifugeuses iraniennes en 2010. En parallèle, des sabotages ont visé des installations nucléaires, notamment l'explosion survenue à Natanz en 2020. Israël a également été accusé d'assassinats ciblés de scientifiques nucléaires iraniens, dont le plus marquant est l'élimination de Mohsen Fakhrizadeh en 2020. Enfin, le pays a exercé une pression diplomatique pour convaincre les puissances mondiales de maintenir des sanctions contre l'Iran.
Mais frapper directement des installations nucléaires iraniennes, notamment les usines de production et d'enrichissement d'uranium ou les réacteurs de recherche, semble peu probable à ce stade. Tout d'abord, la majorité des installations nucléaires sont enfouies profondément sous terre, souvent à plusieurs dizaines de mètres sous la roche.
Pour les détruire ou au moins les endommager de manière significative, il faut des types de bombes extrêmement performantes. Et les plus efficaces d'entre elles sont américaines, avec des munitions de 13 tonnes capables de frapper très profondément. Or, Washington s'est toujours refusé pour l'instant à les fournir à Tel Aviv.
Interrogé par la presse peu après les frappes sur Israël pour savoir s'il soutiendrait des attaques sur le secteur nucléaire iranien, Joe Biden s'est montré très clair. "La réponse est non (...) les Israéliens ont le droit de riposter, mais ils doivent le faire de manière proportionnée", a répondu le locataire de la Maison Blanche.
Sans soutien de son principal allié, il reste donc peu vraisemblable que l'Etat hébreu décide de s'en prendre au nucléaire iranien. Une probabilité faible qui n'est toutefois pas nulle. Interrogé mercredi par Franceinfo, Kobi Michael, chercheur à l'Institut national de la sécurité de l'Université de Tel Aviv, minimise le besoin d'une collaboration avec les Etats-Unis. "Israël a la capacité de frapper et pas seulement avec les moyens des Américains (...) le pays a préparé des surprises qui pourraient être plus efficaces et destructrices que ce que les moyens américains permettent", assure-t-il.
Intervenant sur CNN, Malcom Davis, chercheur principal à l'Institut stratégique australien, ajoute de son côté que Benjamin Netanyahu Benjamin ferait face à de fortes pressions au sein de son cabinet pour attaquer ces installations nucléaires.
Viser les infrastructures pétrolières et gazières
Un deuxième scénario envisageable est qu'Israël décide de frapper les infrastructures pétrolières et gazières iraniennes. Ces installations, majoritairement situées dans l'ouest du pays, à proximité des frontières avec l'Irak, le Koweït et l'Arabie saoudite, jouent un rôle crucial à l'heure où l'économie iranienne est déjà très fragilisée.
Avec une production de près de 3 millions de barils de pétrole par jour, l'Iran, déjà fortement sous sanctions internationales, ne compte que pour un peu moins de 3% de l'approvisionnement mondial. Mais pour Téhéran, le pétrole reste le produit le plus exporté et représente, selon les estimations, entre 15% et 20% de son PIB. Une série d'attaques ciblées sur ces infrastructures pourraient donc s'avérer extrêmement préjudiciable pour l'Iran.
Mais une telle action pourrait également avoir des conséquences plus globales sur l'économie. Et c'est sans doute ce qui devrait freiner Israël dans ce scénario. Une éventuelle attaque pourrait en effet provoquer des représailles de la part de Téhéran, incitant le pays à frapper des raffineries en Arabie saoudite ou aux Emirats arabes unis. Une escalade qui pourrait également compromettre la sécurité maritime dans le détroit d'Ormuz, une voie essentielle pour le transit des pétroliers, qui représente presque un tiers de la production pétrolière mondiale.
Entraver la production et l'exportation du pétrole iranien pourrait également être très mal perçu à Pékin, qui est de loin le principal client de la République islamique.
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Les conséquences d'une telle situation seraient donc lourdes. Une perturbation dans l'approvisionnement pétrolier pourrait déclencher un choc énergétique, entraînant une hausse des prix du carburant, de l'essence et d'autres produits dérivés comme les plastiques et les engrais. Un bouleversement qui pourrait plonger de nombreuses économies dans une spirale récessionniste, en particulier dans les pays les plus vulnérables et dépendants des importations de pétrole.
Il est également à noter que sans être aussi opposé que dans le cas du nucléaire, le président américain Joe Biden a dit vendredi qu'il ne s'agissait sans doute pas de la bonne solution. "Si j'étais à la place d'Israël, je réfléchirais à d'autres alternatives que des frappes sur les champs pétroliers", a expliqué le démocrate.
Des cibles militaires
Sans pouvoir être écartés, ces deux premiers scénarios sont actuellement moins probables que celui d'une opération visant des cibles militaires en Iran.
Cités dans le New York Times, plusieurs officiels américains ayant requis l'anonymat estiment que les Israéliens devraient d'abord se concentrer sur des bases militaires et peut-être sur des sites de renseignements iraniens. D'après eux, l'infrastructure nucléaire ne devrait devenir une cible que dans un second temps, si les Iraniens venaient une nouvelle fois à contre-attaquer.
Des officiels israéliens précisent de leur côté auprès du site américain Axios que les représailles devraient être importantes et comprendre une combinaison de frappes aériennes sur des cibles militaires en Iran, ainsi que des attaques clandestines comme celle qui a tué le chef du Hamas Ismail Haniyeh en juillet 2024 à Téhéran.
Une version qui semble en partie étayée par la vidéo publiée mercredi par le ministre de la Défense israélien Yoav Gallant, à peu près au moment où Benjamin Netanyahu s'entretenait par téléphone avec Joe Biden pour la première fois en l'espace de deux mois. L'attaque israélienne sera "létale, précise et particulièrement surprenante", explique le ministre, ajoutant que l'Iran "ne comprendra pas ce qui lui est arrivé, ni comment".
Les experts s’accordent donc à dire qu'Israël devrait envisager des représailles graduées, conscient du risque d’une escalade indésirable. Cependant, au sein des cercles proches de Benjamin Netanyahu, certains estiment que la situation actuelle pourrait représenter une occasion unique d'entraver de manière significative le programme nucléaire iranien.
Les pressions américaines sur Israël pour davantage de retenue à Gaza ou encore au Liban n'ayant jusqu'à présent pas du tout fonctionné, il se pose aussi la question de savoir si Washington aura réussi à convaincre Tel Aviv de ne pas frapper trop durement l'Iran.
Officiellement, la décision finale concernant le choix et l'ampleur des représailles n'a en tous les cas pour l'instant pas été prise. Selon CNN, le cabinet de sécurité israélien doit se réunir jeudi soir pour un vote sur la réponse à apporter aux frappes iraniennes.
Tristan Hertig