"Je n'ai plus la force de fuir": le désarroi des aînés de Pokrovsk face à la menace russe
A Pokrovsk, il est désormais clair que l'opération ukrainienne menée à Koursk, en territoire russe, n’a pas permis de ralentir la progression des soldats russe. Les militaires ennemis sont désormais à moins de dix kilomètres et pourraient envahir la ville prochainement.
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Les autorités ukrainiennes ont ordonné l’évacuation de cette ville de plus de 60'000 habitants avant la guerre, aujourd'hui bombardée quotidiennement, mais nombre d'entre eux, souvent les plus âgés, refusent de partir.
En reportage pour l'émission Tout un monde, la correspondante de la RTS en Ukraine Maurine Mercier s'y est rendue sans doute pour la dernière fois avant que la cité ne soit avalée par la Russie. Elle était accompagnée par Artem, un journaliste ukrainien qui travaille pour la radio.
Combattre le stress
A leur arrivée à Pokrovsk, Maurine et Artem doivent passer plusieurs checkpoints. On leur dit qu'il y a eu beaucoup d'explosions dans la ville la nuit auparavant. "Si ça commence à mal tourner, s'il-vous-plaît fuyez", leur dit un militaire. Les deux journalistes poursuivent leur route.
Si on se prétend chrétien, on doit les aider, au moins essayer
Artem confie alors l'un des moments qui l'a le plus marqué durant ces deux ans et demi de guerre. Il roulait sur une route quand il a été attaqué et bombardé par un drone. Il s'est jeté sur le bas-côté et s'est caché dans une sorte de tuyau. Puis il s'est mis à chanter. "Cela m'a aidé à survivre à ce stress", assure-t-il.
L'église comme dernier abri
En entrant dans la ville, les deux reporters constatent que de nombreux bâtiments ont été détruits. En passant devant l'un d'eux, Artem raconte que c'était un restaurant où il a mangé la semaine dernière encore.
Maurine et Artem se rendent dans une église pour assister très vraisemblablement à la dernière messe qui y aura lieu, parce que ce sera trop dangereux par la suite. Ils sont accueillis par Lilia, qui tente de sourire pour les rassurer, mais dont les yeux sont mouillés de larmes et les mains tremblantes. Le lieu religieux sert désormais avant tout d'abri pour les personnes qui n'ont nulle part où aller. "Les gens perdent espoir, ils ne parviennent plus à trouver la force de fuir", déplore Lilia.
Je n'ai plus l'âge de me déplacer
La quadragénaire confie qu'elle ne peut les laisser tomber, même si, dans le fond, elle a aussi envie de partir. D'autant plus qu'elle a avec elle sa fille de huit ans. "Mais si on se prétend chrétien, on doit les aider, au moins essayer."
Lilia, elle aussi, chante dans l'église. Elle veut ainsi réconforter les derniers paroissiens, même si on entend, de plus en plus près, les bruits inquiétants de l'artillerie russe.
La guerre après les radiations
Dans les petites salles du rez-de-chaussée, il y a des montagnes de vêtements abandonnés et des valises, dernières possessions de toutes ces personnes qui viennent d'évacuer la ville.
Plusieurs personnes âgées ont aussi trouvé refuge dans l'église après les bombardements destructeurs. Elles ont perdu tout courage de fuir. "Je n'ai plus l'âge de me déplacer", confie Galina. Cette octogénaire raconte qu'elle a été liquidatrice à Tchernobyl pour nettoyer les déchets nucléaires et qu'elle touche pour cela une retraite généreuse. Fuir n'est donc pas pour elle une question d'argent, mais de courage. Après l'exposition aux radiations, c'est la guerre, et elle n'a plus la force.
Selon le maire de Pokrovsk Serguiï Dobriak, quelque 30'000 habitants et habitantes se trouvent toujours dans la ville malgré les appels répétés des autorités à évacuer d'urgence et alors que des combats pourraient commencer à tout moment dans les rues.
Mais la ville semble inhabitée. Les autorités ont ordonné un couvre-feu, le plus sévère qu'il n'y ait jamais eu Ukraine. Les habitants n'ont l'autorisation de sortir de leur maison qu'entre 11h et 15h, donc 4h par jour seulement. C'est durant ces heures qu'il tentent de trouver encore un médecin alors que l'hôpital a été évacué. De plus, la plupart des commerces sont fermés.
Reportage radio: Maurine Mercier
Adaptation web: Frédéric Boillat