Jean-Michel Aphatie: "Le nouveau Premier ministre sera un clone de Michel Barnier, confronté aux mêmes problèmes"
Au lendemain de la chute de son gouvernement, Michel Barnier a formellement remis sa démission et le président a "pris un acte", a fait savoir l'Elysée. "Michel Barnier assure, avec les membres du gouvernement, le traitement des affaires courantes jusqu'à la nomination d'un nouveau gouvernement", poursuit le texte.
On ignore pour l'heure quand sera nommé son successeur. Emmanuel Macron va prendre la parole à 20h à la télévision pour fixer un cap.
"Comme à son habitude, il s’exprimera avec une arrogance manifeste, estimant que tout a été fait correctement et que la dissolution de l'Assemblée nationale constitue une excellente décision, commente Jean-Michel Aphatie, éditorialiste et chroniqueur dans l'émission Quotidien, jeudi dans La Matinale de la RTS. Que voulez-vous, on ne peut pas être très performant lorsqu'on accumule autant d'échecs que lui! On ne peut pas prétendre à l'efficacité en se mettant à donner des leçons à tout le monde."
La question sur toutes les lèvres: quand sera nommé le nouveau Premier ministre? Si l'entourage du chef de l'Etat n'a pas communiqué de détails précis, plusieurs de ses proches ont confié qu'il entendait agir rapidement, bien plus promptement qu'au cours de l'été dernier, quand il lui avait fallu près de deux mois pour désigner Michel Barnier.
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"Il y a de quoi être inquiet"
La chute de Michel Barnier marque un tournant majeur dans la crise politique qui secoue la France depuis la dissolution de l'Assemblée nationale le 9 juin. C'est une première depuis 1962: le Premier ministre a été renversé par une majorité écrasante de 331 députés après avoir engagé sa responsabilité, établissant un nouveau record de brièveté à Matignon sous la Ve République.
Pour Jean-Michel Aphatie, la démission du Premier ministre n'est que le fruit d'une dissolution mal pensée. "La situation actuelle résulte d'une dissolution mal conçue et mal programmée. L'Assemblée nationale qui en découle est ingouvernable. Emmanuel Macron va devoir nommer rapidement un nouveau Premier ministre, mais ce sera probablement un clone de Michel Barnier, confronté aux mêmes problèmes. Il y a de quoi être inquiet", prévient-il lors de La Matinale de la RTS.
Parmi les noms qui circulent figurent le président du MoDem François Bayrou, le ministre des Armées Sébastien Lecornu, le LR Xavier Bertrand, l'ex-Premier ministre socialiste Bernard Cazeneuve ou le maire de Troyes François Baroin.
La pression monte alors que les partis d'opposition se font de plus en plus virulents. Mathilde Panot, cheffe des députés de La France insoumise, a réclamé "des présidentielles anticipées", tandis que Jean-Luc Mélenchon a été plus loin, estimant qu'avec un Premier ministre tous les trois mois, Emmanuel Macron ne tiendra pas trois ans.
Il faudrait prendre des décisions très impopulaires, réduire les crédits, mais il n'y a pas de majorité parlementaire pour soutenir de telles actions
De son côté, Marine Le Pen, sans appeler directement à la démission du président, a évoqué la montée de la "pression" sur lui, précisant que celle-ci s'intensifiera si les "voix des électeurs" ne sont pas entendues. Elle a également assuré que son parti, le Rassemblement national, "laissera travailler" le futur Premier ministre "pour coconstruire un budget acceptable".
"Nos institutions sont solides, mais complexes. Même si Emmanuel Macron démissionnait, l'Assemblée nationale resterait inchangée, rendant l'exercice du pouvoir exécutif extrêmement difficile, explique Jean-Michel Aphatie. Il faudrait prendre des décisions très impopulaires, réduire les crédits, mais il n'y a pas de majorité parlementaire pour soutenir de telles actions."
L'épineuse question du budget
La tâche du futur Premier ministre s'annonce quoi qu'il en soit immense: dans son discours devant l'Assemblée nationale qui s'apprêtait à le congédier, Michel Barnier a prévenu que la "réalité" budgétaire ne "disparaîtra pas par l'enchantement d'une motion de censure".
Attendu à 6,1% du PIB en 2024, bien plus que les 4,4% prévus à l'automne 2023, le déficit public raterait son objectif de 5% en l'absence de budget et l'incertitude politique pèserait sur le coût de la dette et la croissance.
Nous abordons cette situation avec une légèreté qui ne correspond pas à l'ampleur des problèmes auxquels nous faisons face
Pour Jean-Michel Aphatie, la situation est d'autant plus périlleuse qu'elle se double d'une crise financière qui pourrait aggraver l'impasse politique.
"Nous sommes des enfants gâtés, habitués à ce que les crises trouvent toujours une solution sans qu'on ait à remettre en question des principes fondamentaux. Cette fois-ci, cela pourrait être très différent. Nous abordons cette situation avec une légèreté qui ne correspond pas à l'ampleur des problèmes auxquels nous faisons face. Et à la tête de l'Etat, nous avons quelqu'un qui a géré tout cela de façon si maladroite qu'il n'a aujourd'hui aucune solution crédible à proposer", alerte-t-il.
Et d'ajouter: "La France est en déficit depuis 51 ans et, avec cette nouvelle marche supplémentaire, qui traduit la descente de ce pays, nous sommes désormais incapables même de voter un budget. Nous allons devoir reconduire le budget 2024."
Jean-Michel Aphatie alerte sur le fait de voir la France devenir le plus grand emprunteur net de la zone euro, avec 300 milliards d'euros à emprunter en 2025, augmentant ainsi les taux d'intérêt. "Les créanciers prêteront à condition de croire que le pays est bien gouverné, ce qui, pour l'instant, n'est pas le cas", prévient-il. Cette hausse des taux affecterait directement la consommation, pénalisant ceux qui souhaitent acheter des biens de consommation durables comme des voitures, de l'électroménager ou des logements, alerte le chroniqueur, qui parle d'une "situation dangereuse".
L'agence de notation Moody's estime que la chute du gouvernement "réduit la probabilité d'une consolidation des finances publiques" de la France et "aggrave l'impasse politique du pays".
Propos recueillis par Yann Amedro
Adaptation web: vajo avec agences