Comment encourager les gouvernements à faire du changement climatique une priorité? Que peuvent faire les jeunes face à la crise écologique? Est-ce qu'une gouvernance mondiale est utopique? Ce sont quelques-unes des questions que les élèves de deux classes de collégiens genevois ont voulu poser à Nicole Gnesotto, vice-présidente de l’Institut Jacques Delors, invitée de la dernière émission de l'année de Géopolitis.
Des questions importantes et légitimes pour Nicole Gnesotto qui estime que sa propre génération a "échoué". "Moi, j'ai une fille de 30 ans. Nous laissons aux jeunes un monde difficile." Dans son dernier livre "Choisir l'avenir, 10 réponses sur le monde qui vient" (Editions CNRS, 2024), elle esquisse des pistes de solutions pour éviter certaines impasses: "L'idée était de dire que cette nouvelle génération qui vient, c'est elle qui doit réparer tout cela, qui doit reconstruire plus de solidarité, plus de redistribution des richesses, plus de responsabilité. L'idée était d'essayer de comprendre pourquoi les dirigeants ou les responsables, les analystes de ma génération ont finalement échoué à produire un monde meilleur et comment j'espère que cette nouvelle génération aura les outils nécessaires pour le remodeler au mieux."
Tout au long du premier semestre de l’année scolaire, deux classes de 4e année du Collège Emilie-Gourd de Genève ont travaillé et échangé en cours de géographie sur les grands thèmes géopolitiques qui façonnent notre société. Avec leur enseignant, Alain Chassot, ces jeunes de 18 et 19 ans ont lu certains extraits du livre de Nicole Gnesotto et préparé ensemble douze questions qu'ils souhaitaient poser à cette experte des enjeux stratégiques, qui a travaillé notamment auprès du Conseil de l'Union européenne.
Face au dérèglement climatique
Des questions qui portent notamment sur le dérèglement climatique qui préoccupe particulièrement ces élèves. "Je pense quand même qu’on a une grande pression par rapport à d’autres générations précédentes sur tout ce qui est environnemental", relève en classe Ophelia Pajic. Si Nicole Gnesotto considère que le résultat de la dernière conférence internationale sur le climat, la COP 29, peut être jugé décevant, elle estime qu'il y a certains progrès dans les négociations internationales sur ce sujet : "On peut aussi avoir un élément d'espoir, parce qu'un des grands objectifs des COP, qui vont avoir 10 ans, (...) c'était que tout le monde s'engage à réduire ses émissions de gaz à effet de serre. Cet objectif est lent, mais il est à peu près tenu. Et puis, le deuxième objectif, c'était que les pays riches financent les pays pauvres pour qu'ils continuent de se développer plus proprement qu'ils ne l'auraient fait s'ils utilisaient uniquement des énergies fossiles. C'est ce deuxième volet qui a coincé à Bakou dans la COP 29 parce qu'effectivement les pays riches se font tirer l'oreille."
L'accord signé à la fin de la COP 29, organisée en novembre à Bakou en Azerbaïdjan, fixe à 300 milliards de dollars par an la contribution des pays riches pour aider les pays plus pauvres, qui réclamaient beaucoup plus. Selon Nicole Gnesotto "ce qui est intéressant quand même pour l'espoir, c'est de voir que l'idée que les riches doivent payer pour que les pauvres se développent de façon plus verte est maintenant consensuelle."
Repenser la coopération internationale?
De même, face à la récurrence des conflits dans le monde, Nicole Gnesotto tient à attirer l'attention sur certaines avancées, même si elle relève que malheureusement la guerre reste une "donnée permanente de l'activité humaine". "Si on ne peut pas supprimer la guerre, on a évolué sur la protection des civils. Par exemple, le droit humanitaire que la Suisse a inventé est un élément fondamental aujourd'hui (...). On a vraiment progressé là-dessus. La deuxième chose sur laquelle on a aussi progressé, c'est en distinguant deux sortes de guerres. Il y a des guerres légitimes. Par exemple, la guerre que mène l'Ukraine contre la Russie est une guerre légitime parce que c'est une guerre d'autodéfense. Elle a été attaquée. Elle se défend. Et les Nations unies reconnaissent la légitimité de cela. En revanche, il y a des guerres illégitimes qui devraient être punies en droit international, qui sont des attaques - par exemple celle de Poutine contre l'Ukraine - d'un Etat contre un autre Etat souverain", estime Nicole Gnesotto.
Les tensions et bouleversements stratégiques, mais aussi technologiques incitent à reposer la question de la gouvernance mondiale. Peut-elle fonctionner dans ce monde qui semble chamboulé de toutes parts? Pour répondre à cette question posée par Guillaume Glassey, Nicole Gnesotto évoque plutôt un objectif vers lequel il faudrait selon elle tendre, celui de développer un maximum de gouvernance universelle, surtout sur les nouveaux enjeux: "Pour les vieux enjeux, tels que la guerre et la paix, on a un système onusien avec ses défauts. Mais pour les nouveaux enjeux que votre génération devra réguler - par exemple internet, les manipulations du génome humain, l'intelligence artificielle, etc. - il faut inventer une nouvelle gouvernance qui n'existe pas. Elle n'est pas occidentale parce qu'elle n'existe pas, et là on a peut-être des chances de créer d'emblée une gouvernance mondiale."
Tout juste majeurs, les élèves des deux classes d'Alain Chassot s’interrogent aussi sur la place qu’ils peuvent prendre face aux enjeux qui les attendent. "Je n’ai pas vraiment de raison de me sentir en sécurité par rapport à l’avenir. J’aimerais y contribuer, mais on ne nous donne pas forcément tous les moyens pour le faire", relève l'un d'entre eux. Là encore, Nicole Gnesotto veut porter un message d'espoir: "On vous laisse un monde en déconfiture. Ca pourrait être pire, mais pas beaucoup plus. En matière de prospérité, en matière de stabilité, en matière d'environnement, tout est à faire. J'adorerais avoir 20 ans aujourd'hui, parce qu'on a vraiment des objectifs importants à se donner qui donneront un sens à votre génération."
Elsa Anghinolfi