Nathalie Sala Gisa est responsable du numérique du Studio Hirondelle, une radio en République démocratique du Congo, soutenue par la Fondation Hirondelle, une ONG suisse qui fournit de l'information dans les contextes de crises. Le projet du média Studio Hirondelle: briser les mensonges, ou "Vunja Uongo" en swahili.
Le projet a été lancé il y a pile un an en radio, sur internet, mais surtout sur les réseaux sociaux. Pour Nathalie Sala Gisa, c'est une manière "simple et ludique d'interpeller les utilisateurs et les internautes sur une rumeur qui a beaucoup circulé [sur internet, ndlr]". L'objectif est de montrer le processus de vérification des faits, les sites et les outils utilisés, pour que le public puisse le faire à son tour. "On mise sur les réseaux sociaux, car c'est là que la désinformation circule beaucoup", ajoute-t-elle.
Elections et instabilité propices à la désinformation
En 2023, année d'élection en RDC, le phénomène de désinformation a pris de l'ampleur. Pour Nathalie Sala Gisa, cette période d'élections a également polarisé la population. Le président Félix Tshisekedi, qui briguait un second mandat, avait notamment attaqué les "candidats de l'étranger", les accusant de ne pas être assez "patriotes".
>> Relire : Elections sous haute tension en République démocratique du Congo
Des acteurs intérieurs ont fait appel à la désinformation et aux rumeurs
De manière générale, tout épisode d'instabilité est propice à la désinformation et à la manipulation des opinions. Depuis 2022, sur le continent africain, on recense quatre fois plus de campagne de désinformation, selon le Centre d'études stratégiques de l'Afrique. Pour Dan Sanaren, doctorant au Centre de recherches internationales de Sciences Po Paris et spécialiste de l'Afrique de l'Ouest, ce n'est pas un hasard si la région la plus touchée est le Sahel.
Ces dernières années, l'Afrique de l'Ouest a subi des changements importants, selon le doctorant, qui mentionne "la réaffirmation des juntes sur des plateformes très souverainistes au Mali, au Burkina Faso, au Niger, les coups d'Etat par exemple en Guinée ou des élections très tendues au Sénégal". Des changements de narratifs importants, avec des acteurs extérieurs, mais surtout "des acteurs intérieurs qui ont fait appel à la désinformation et aux rumeurs", explique-t-il.
Wagner inonde les réseaux sociaux
Ces acteurs de la désinformation, nationaux, russes ou issus de groupes islamistes ont fini par s'imposer. "Le groupe Wagner, les médias russes ont pris beaucoup d'importance comparé aux médias indépendants, à la presse européenne ou française, aux communications d'ambassades", relève Dan Sanaren. L'espace indépendant d'information s'est réduit, au profit "d'acteurs hostiles à l'Occident", ajoute-t-il.
Par exemple au Niger, avant, pendant et après le coup d'Etat de juillet 2023, le groupe paramilitaire russe Wagner a inondé les réseaux sociaux, en particulier Telegram et WhatsApp. Les contenus relatifs au Niger sur les canaux Telegram de l'Etat russe et de Wagner ont augmenté de 6645% durant le mois qui a suivi le coup d'Etat, révèle une enquête du journal britannique The Guardian.
WhatsApp et Telegram jouent un rôle central en Afrique où les smartphones sont le principal moyen d'accéder à internet et donc à l'information. Les deux réseaux ont l'avantage d'être des messageries fermées, ce qui complique la tâche des journalistes.
Ousmane Mamoudou est journaliste et mène des projets contre la désinformation au Niger avec sa radio Studio Kalangou. Les informations transmises sur ces espaces privés apparaissent sous forme de notes vocales, explique-t-il, elles sont alors difficiles à indexer par les moteurs de recherches et difficiles à vérifier.
Pour pallier ce problème, le journaliste et ses collègues produisent à leur tour des notes vocales diffusées sur WhatsApp et en FM. Des vocaux qu'il faut encore traduire dans un pays où se côtoient dix langues.
On a l'impression d'être un peu seuls dans la lutte, les gouvernements ne font pas suffisamment d'efforts
Les journalistes vérificateurs de faits travaillent de façon isolée, témoigne Ousmane Mamoudou. "On a l'impression d'être un peu seuls dans la lutte. Je trouve que les gouvernements ne font pas suffisamment d'efforts, les plateformes encore moins en termes de régulation, de sanctions et de modération des contenus".
Autocensure et intimidations des journalistes
L'autocensure est une autre limite, selon Nathalie Sala Gisa. "Certains sujets ne sont pas abordés, car très délicats, les partisans d'X ou Y peuvent vous suivre ou poursuivre", explique la journaliste en RDC. Elle ajoute que le Studio Hirondelle s'est souvent vu reprocher de prendre parti pour l'Union européenne, notamment parce que le média est financé par l'Institution.
"A chaque fois, on fait l'effort de répondre aux commentaires pour expliquer que nous sommes un média". Malgré le financement, la rédaction reste indépendante, déclare la journaliste. "On explique cela, car ça peut très vite se retourner contre vous".
Selon Reporters sans frontières, en RDC, les intimidations de journalistes par des personnalités politiques sont régulières et au Sahel, les conditions d'exercice du métier se sont dégradées. L'ONG appelle à ne pas faire de ces régions des déserts médiatiques.
Sujet radio: Julie Rausis
Adaptation web: ostolu