La course à l'armement de la Corée du Nord n'a cessé de s'intensifier ces dernières années. Jamais le pays n'avait tiré autant de missiles en deux ans: 82 en 2022 et 41 en 2023.
L'année 2018 avait pourtant marqué l'espoir d'un apaisement. En effet, en juin 2018, un sommet historique réunit Donald Trump et Kim Jong-un à Singapour. C'était la première fois qu'un président américain en exercice rencontrait un dirigeant nord-coréen. On se souvient de ces images étonnantes de la poignée de main entre les deux chefs d'Etat.
Progrès militaires considérables
Un an plus tard, il y a eu le sommet de Hanoï, au Vietnam. Une rencontre entre la Corée du Nord et les Etats-Unis qui s'est finalement soldée par un échec et dont on mesure aujourd'hui les conséquences, explique Juliette Morillot.
"Le sommet de Hanoï a déclenché chez les Nord-Coréens un véritable tournant dans leurs décisions. En effet, Kim Jong-un espérait obtenir une levée des sanctions économiques et a proposé aux Etats-Unis le démantèlement complet de la centrale nucléaire de Yongbyon. Une offre que les Etats-Unis ont négligé. Ils n'ont pas pris la mesure de ce que cela représentait pour les Nord-Coréens qui étaient, à cette époque-là, relativement sincères".
Le sommet de Hanoï a déclenché chez les Nord-Coréens un véritable tournant dans leurs décisions
Le froid qui s'est installé entre les deux pays s'est ressenti assez rapidement. En septembre 2022, une nouvelle loi sur le nucléaire a été édictée. Elle évoque notamment la possibilité de frappes préventives. "C'est-à-dire qu'on ne parle plus de dissuasion. C'est un véritable tournant dans la politique nord-coréenne", souligne la spécialiste.
Ce tournant stratégique s'est accompagnée de progrès considérables en matière notamment d'équipement nucléaire. Il y a désormais des missiles à longue portée qui seraient capables d'atteindre le continent américain.
Sentiment de menace perpétuel
Comme l'explique Juliette Morillod, la Corée du Nord a mis à profit la longue période de calme engendrée par l'épidémie de Covid-19 pour développer son industrie balistique et nucléaire. "Elle possède aujourd'hui un arsenal extrêmement sophistiqué. Longtemps, l'Occident a été dans le déni. Or, aujourd'hui, le pays possède un arsenal de missiles à longue, courte et moyenne portée, mais aussi des missiles de croisière qui sont particulièrement pratiques pour éviter d'être détectés par les Sud-Coréens."
L'arme nucléaire est utile quand on n'a pas une armée suffisamment forte
Les Coréens du Nord se sentent sous menace permanente. Pour cette raison, la Corée du Nord met toutes ses ressources dans un programme nucléaire et balistique. La population est également mobilisée derrière l'ennemi. "La volonté de se défendre est dans l'ADN des Nord-Coréens", souligne la spécialiste.
En outre, même si l'armée nord-coréenne paraît colossale avec ses 2 millions de soldats et officiers actifs, elle n'est pas aussi extraordinairement armée qu'on l'imagine. Un constat qui ne rend l'arme nucléaire que plus dangereuse, poursuit Juliette Morillod. "L'arme nucléaire est utile quand on n'a pas une armée suffisamment forte. Le danger est donc d'autant plus grand".
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Liens renforcés avec la Russie
Depuis la guerre en Ukraine en 2022, le contexte géopolitique a également changé, avec le rapprochement de la Corée du Nord et de la Russie. Selon Juliette Morillod, ce rapprochement est une véritable bouée salvatrice pour Pyongyang, qui est complètement isolé, notamment depuis le Covid.
Souvent, quand on pense à la Corée du Nord, on évoque Pékin. Mais les liens avec Moscou sont solides et très pragmatiques
"Souvent, quand on pense à la Corée du Nord, on évoque Pékin. Mais les liens de la Corée du Nord avec Moscou sont solides et très pragmatiques". Elle donne entre autres l'exemple de la récente déclaration de l'ambassadeur russe à Pyongyang expliquant très clairement qu'il souhaitait aider la Corée du Nord, notamment dans la construction de nouvelles infrastructures dans le domaine ferroviaire, dans les routes et dans les hôpitaux.
"La Russie va aider la Corée du Nord également sur le plan énergétique, économique et bien évidemment technologique. C'est-à-dire qu'ils vont les aider notamment à développer tout ce qui est technologies pour les satellites", souligne-t-elle.
En échange, la Corée du Nord fournirait des armes à la Russie pour l'effort de guerre en Ukraine. Selon la Maison Blanche, la Corée du Nord aurait livré à Moscou une cargaison de "plus de mille containers" d’armes et munitions fin 2023.
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Propos recueillis par Patrick Chaboudez/hkr