En l'espace de deux jours, plus de 30 personnes sont décédées et des milliers d'autres ont été blessées après les vagues d'explosions de bipeurs, mardi, et de talkies-walkies, mercredi. Interrogé dans La Matinale, Karim Bitar, professeur en relations internationales à l'Université Saint-Joseph de Beyrouth, reconnaît que ces attaques représentent un "coup dur" pour le Hezbollah.
"Ses systèmes de renseignement ont été pénétrés et plusieurs milliers de ses membres ont été blessés. On a le sentiment que toutes les lignes rouges sont en train d'être allègrement franchies. Aujourd'hui, le Liban tout entier semble vivre dans une série Netflix, un film de science-fiction", constate-t-il.
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Le Hezbollah garde une capacité de réponse
Si le Hezbollah est "affaibli", le mouvement garde une faculté de réponse, analyse Karim Bitar. "Sa capacité d'infliger des dégâts demeure considérable. Si Israël devait poursuivre dans cette fuite en avant, il dispose certainement d'un avantage technologique, mais le Hezbollah pourrait tout à fait empêcher une invasion terrestre au Liban, ou en tout cas lancer des missiles de longue portée qui pourraient viser des villes israéliennes."
Selon l'expert, c'est précisément parce que la milice chiite est forte au niveau terrestre qu'Israël a opté pour une attaque par la voie technologique. "Israël profite des faiblesses du Hezbollah, qui a été infiltré. Ses services de renseignements sont particulièrement présents sur la scène libanaise et ils ont plusieurs longueurs d'avance en matière de technologie. Cela ne veut pas dire pour autant que leurs objectifs de guerre sont atteints", explique-t-il.
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La crainte d'une escalade
Au Liban, la population craint une escalade du conflit. Une stratégie qui serait voulue par l'armée israélienne, soutenue par une partie de la classe politique et par une partie de l'opinion publique, mais freinée par les cadres du Shin Bet et du Mossad. Ces derniers "incitent à la retenue, parce qu'ils ont tiré les enseignements des attaques précédentes contre le Liban, qui ont été extraordinairement contre-productives pour Israël", estime Karim Bitar.
D'après lui, cette escalade éventuelle est aussi une manière de mettre l'allié américain devant le fait accompli. "Israël n'a pas informé les Etats-Unis, sauf quelques secondes avant cette attaque. En cas d'escalade, on voit mal les Etats-Unis, en pleine campagne électorale, ne pas se précipiter à la rescousse de leur allié. C'est peut-être là-dessus que mise Benjamin Netanyahu, mais c'est un pari extrêmement risqué."
Propos recueillis par Valérie Hauert
Article web: Jérémie Favre
Faut-il craindre une riposte de l'Iran?
Allié historique du Hezbollah, l'Iran a annoncé sa volonté de se venger, alors que son ambassadeur a été blessé dans les attaques de ces derniers jours. Pour Karim Bitar, le gouvernement iranien est devant une situation très délicate.
"Ils sont très soucieux de sauvegarder la pérennité de leur régime. Ils ont déjà avalé une couleuvre en ne répondant pas à l'assassinat sur leur propre territoire du chef du Hamas Ismaïl Haniyeh", rappelle le professeur à l'Université de Beyrouth.
Et de poursuivre son analyse: "Il est naturel que l'Iran et le Hezbollah menacent de riposter, mais mettre ces menaces à exécution sera extrêmement dangereux. S'ils devaient dépasser les lignes rouges israéliennes, il y aurait un risque d'engrenage et d'une guerre régionale qui ne se terminerait pas en faveur du régime iranien, même si les dégâts en Israël seraient également considérables."
Au final, Karim Bitar n'exclut pas que l'Iran avale une nouvelle couleuvre ou qu'il sous-traite la riposte à l'un de ses proxies régionaux.
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