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"Kim Jong-un veut faire cavalier seul et en même temps faire monter les enchères"

Signe des regains des tensions, la Corée du Nord a dynamité plusieurs tronçons routiers qui les reliait à la Corée du Sud. [EPA/ KEYSTONE - Jeon Heon-Kyun]
Péninsule coréenne: le grand schisme / Tout un monde / 7 min. / le 16 octobre 2024
La Corée du Nord a fait sauter mardi plusieurs tronçons de route la reliant à la Corée du Sud. Cet incident est le dernier d'une série d'actions agressives de Pyongyang ces derniers mois. Il pourrait toutefois s'agir d'un tournant dans les relations entre les deux Corées, selon Sébastien Falletti, correspondant du Figaro à Séoul. Interview.

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Tout un monde: Comment expliquer ce changement d'attitude de la Corée du Nord depuis le début de l'année?

Sébastien Falletti: Le leader nord-coréen Kim Jong-un est en train de concrétiser un virage historique qu'il a amorcé au début de cette année lorsqu'il a annoncé que la Corée du Sud était désormais un "Etat hostile". Dans cette formule, ce qui est important, c'est le terme "Etat". Kim Jong-un a affirmé pour la première fois que la Corée du Sud est un Etat différent de la Corée du Nord et que donc l'idée d'une réunification entre les deux Corées est désormais caduque. Kim Jong-un a fait sauter ces deux fameuses routes qui étaient le symbole des efforts laborieux de rapprochement que Séoul et Pyongyang avaient entrepris depuis les années 90 pour tenter de se rapprocher. Aujourd'hui, le dirigeant nord-coréen dit: "C'est terminé, nous sommes à présent deux Etats ennemis". Et "ennemi", ça veut dire peut-être potentiellement aussi un conflit direct, avec des tensions extrêmement plus inquiétantes à l'avenir.

>> Voir les images des explosions ayant détruit les routes reliant la Corée du Nord et du Sud :

La Corée du Nord détruit à l'explosif des tronçons de routes la reliant à la Corée du Sud
La Corée du Nord détruit à l'explosif des tronçons de routes la reliant à la Corée du Sud / L'actu en vidéo / 32 sec. / le 16 octobre 2024

La destruction de ces deux routes était-elle tactique ou y a-t-il un risque d'embrasement?

C'est toute la question que se posent les experts. Est-ce que, encore une fois, Pyongyang joue une carte tactique qui est de dire au monde "Arrêtez-moi, sinon je fais un malheur et donc donnez-moi des concessions", ou bien est-ce qu'on assiste à une vraie césure comme l'affirment certains spécialistes? La Corée du Nord aurait franchi un cap et se serait dit "Je n'ai plus d'intérêt à garder ce modus vivendi avec le Sud. Je suis désormais de plus en plus proche de la Russie de Vladimir Poutine. J'ai développé mon armement nucléaire, donc je ne cherche même plus à négocier avec les Américains". Il y a ces deux scénarios. L'un n'empêche pas l'autre. En réalité, la Corée du Nord veut faire cavalier seul et en même temps faire monter les enchères. Et peut-être, si à un moment, il fallait rouvrir des négociations, le faire dans une position de force.

Quelle est la réaction à Séoul? La Corée du Sud est-elle inquiète ou accueille-t-elle ce nouvel incident avec une certaine indifférence?

Séoul fait évidemment partie de cette escalade des tensions et a sa responsabilité, parce que depuis 2022, le président conservateur Yoon Suk Yeol a véritablement tourné le dos définitivement à la Corée du Nord. Il affiche un alignement beaucoup plus net avec les Etats-Unis et il n'est, contrairement à ses prédécesseurs, pas intéressé à ouvrir le dialogue avec le Nord. Il joue la carte de la fermeté à tout prix et il affirme qu'il est prêt à répliquer par la force à toutes provocations. On est dans un jeu dans lequel, à Séoul, on est très ferme et forcément, cela pèse sur ce paysage. 

La Corée du Sud fait-elle confiance aux garanties de sécurité de l'allié américain?

Séoul doute du parapluie américain. D'abord parce que la Corée du Nord renforce son arsenal nucléaire. Kim Jong-un a dit l'année dernière qu'il voulait renforcer "de façon exponentielle" son armement atomique. Par conséquent, on assiste à une fuite en avant du dirigeant et au même moment, les Etats-Unis sont divisés. Avec l'élection présidentielle, un potentiel retour de Donald Trump se profile et on sait qu'il a, lui, entretenu des relations très amicales avec Kim Jong-un durant plusieurs sommets. Donc forcément, à Séoul, certains se disent qu'ils ne peuvent plus vraiment compter à l'avenir sur le parapluie américain.

La Chine, qui est un partenaire économique crucial pour Pyongyang, appelle au calme. Kim Jong-un peut-il se permettre d'ignorer Pékin?

La Chine joue un rôle clé, parce que c'est elle qui fait tenir le régime nord-coréen sur le plan économique juste au niveau de la survie. La Chine est inquiète de cette escalade parce qu'elle n'a pas intérêt à un conflit à ses portes. Pour Pékin, la Corée du Nord est un Etat tampon qui lui permet de se protéger contre les Etats-Unis qui sont basés en Corée du Sud avec des soldats. La Chine veut donc un statu quo et s'inquiète des rodomontades de son protégé qu'elle ne peut pas lâcher.  La question devient de plus en plus compliquée pour Pékin, parce que Kim Jong-un a trouvé l'appui de Vladimir Poutine, ce qui pourrait l'encourager à des provocations supplémentaires à l'avenir.

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Propos recueillis par Patrick Chaboudez

Adaptation web: edel

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