Face au besoin croissant d'énergie, l'Afrique se tourne vers le nucléaire

Besoin d'énergie: l'Afrique se tourne vers le nucléaire (image d'illustration). [Reuters - Esa Alexander]
Besoin d'énergie: l'Afrique se tourne vers le nucléaire / Tout un monde / 7 min. / le 16 décembre 2024
Pour l'heure, le continent africain ne compte qu'une seule centrale nucléaire, située en Afrique du Sud. Mais des projets existent dans certains pays pour répondre aux besoins énergétiques immenses. Et ce potentiel attire les convoitises, de la Russie et de la Chine notamment.

Le Rwanda, le Kenya, le Mali, le Burkina Faso et bien d'autres pourraient se doter de l'énergie atomique. Mais le projet le plus abouti se trouve en Egypte.

Le pays a commencé la construction de la centrale d'El Dabaa, dotée de quatre réacteurs, en partenariat avec Rosatom, l'entreprise publique russe spécialisée dans le nucléaire.

En Afrique sub-saharienne, le réseau électrique ne couvre qu'une personne sur deux environ, d'après un rapport de la Banque mondiale. Or, la population du continent augmente. Il y a donc urgence à produire davantage de courant.

Quand il s'agit d'accroître les capacités, les pays s'éloignent désormais des énergies fossiles. Ils ont perçu l'importance de diversifier les sources, explique dans Tout un monde Emmanuelle Galichet, enseignante-chercheuse en physique nucléaire au Conservatoire national des arts et métiers à Paris.

Parmi les sources de courant bas carbone figure le nucléaire. Celui-ci est toutefois onéreux, car les infrastructures nécessaires à sa maîtrise manquent parfois: "Il faut établir dans le pays un écosystème industriel avant de pouvoir exploiter l'énergie nucléaire; et il faut des salariés pour l'exploitation, ce qui suppose aussi un enseignement supérieur et un enseignement professionnel, technique et scientifique bien établi dans le pays", liste Emmanuelle Galichet.

Mise en service en 1984, la centrale de Koeberg, dans la région du Cap, est la seule en activité sur le continent africain. [REUTERS - Esa Alexander]
Mise en service en 1984, la centrale de Koeberg, dans la région du Cap, est la seule en activité sur le continent africain. [REUTERS - Esa Alexander]

Ambitions chinoises et russes

Ces coûts sont désormais en partie assumés par des acteurs extérieurs. Les Etats-Unis, l'Iran, la Corée du Sud et même la Slovaquie sont prêts à payer pour de l'énergie nucléaire en Afrique.

Ces Etats signent des accords de coopération pour construire des centrales. Deux acteurs sortent toutefois du lot: la Russie et la Chine. Deux pays beaucoup plus investis et agressifs sur le marché.

"L'Afrique est aujourd'hui le théâtre d'un affrontement entre la Russie et la Chine, qui ont comme objectif de vendre des réacteurs nucléaires à différents pays africains", relève Teva Meyer, maître de conférences en géographie à l'Université de Haute-Alsace.

Rosatom très investie

L'agence russe Rosatom va même plus loin. Elle construit la centrale et les infrastructures, propose d'en gérer les finances et le personnel et récupère même les déchets radioactifs.

Teva Meyer pointe un intérêt économique. "Cela permet aussi de créer des liens", ajoute-t-il. "Il peut se passer 100 ans entre le moment de la construction d'un réacteur nucléaire et le moment de son arrêt. Peu d'infrastructures permettent d'avoir des liaisons aussi fortes", explique le géographe.

Dans le sous-sol africain, une ressource clé attise les convoitises: l'uranium. "La Russie a vendu un réacteur nucléaire à l'Egypte avec une clause dans le contrat pour explorer le pays afin de trouver de l'uranium. C'est important, car la Russie et la Chine manquent de cette ressource pour leurs propres besoins internes", note Teva Meyer.

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Une question de géopolitique

Chaque pays africain développe aujourd'hui sa propre politique étrangère, souvent au nom du pragmatisme. Il choisit ainsi ses investisseurs en fonction des conditions qu'ils proposent. Et cela, Moscou et Pékin l'ont bien compris.

"L'énergie nucléaire est à la croisée de la géopolitique, de la politique, de la science ou encore de l'innovation. L'intérêt politique de ces grandes puissances est d'aller dans un monde plus multipolaire. Avoir dans leur giron l'Afrique contre les Etats-Unis ou l'Otan est extrêmement intéressant", indique Emmanuelle Galichet.

Teva Meyer relève de son côté que les annonce de ventes de réacteurs nucléaires sont "géopolitiques avant d'être commerciales". Il prend l'exemple du Burkina Faso et du Mali. Les régimes putschistes qui y ont pris le pouvoir ces dernières années se sont tournés vers Moscou.

Quand la Chine et la Russie tentent de vendre des réacteurs nucléaires, elles fournissent aussi les prêts pour financer ces réacteurs

Teva Meyer, maître de conférences en géographie à l'Université de Haute-Alsace

Selon le géographe, la probabilité que des centrales soient construites dans ces pays du Sahel est "extrêmement faible". Mais la signature d'un contrat permet de témoigner du soutien politique à ces nouveaux gouvernements militaires, analyse-t-il.

Un risque financier

Qui dit nucléaire, dit évidemment gestion des risques. Au niveau de la sécurité, les experts estiment que les installations sont sûres (lire en encadré). Pour ces pays, le principal écueil se situe peut-être, une fois encore, au niveau financier: ils pourraient développer de multiples dépendances face aux investisseurs.

Teva Meyer mentionne trois risques: "Le premier est d'exploiter un réacteur nucléaire qui produira la plus grande partie de l'électricité du pays et (l'investisseur) aura donc potentiellement la main sur l'approvisionnement. La deuxième dépendance est celle du combustible. Quand la Russie et la Chine vendent des réacteurs nucléaires, elles vendent aussi, dans les contrats, l'approvisionnement à vie en combustible. (…) Le troisième point est une dépendance financière. Quand la Chine et la Russie tentent de vendre des réacteurs nucléaires, elles fournissent aussi les prêts pour financer ces réacteurs. Or, ce sont des prêts à plusieurs dizaines de milliards de dollars que les pays récepteurs ne sont pas toujours en capacité de rembourser. Ils peuvent rapidement tomber dans le piège de la dette, où ils n'ont d'autre solution que de fournir des accès aux infrastructures à la Chine ou à la Russie au lieu de rembourser financièrement les prêts", développe-t-il.

D'ailleurs certaines populations, au Ghana et au Kenya notamment, manifestent déjà contre l'ambition nucléaire affichée de leurs dirigeants.

Sujet radio : Cédric Guigon

Adaptation web : Antoine Michel

Publié Modifié

Peu de risques sur le plan technique

Emmanuelle Galichet assure que les installations qui seraient ou seront construites en Afrique ne présentent qu'un risque minimal sur le plan technique. "Ces réacteurs de troisième génération sont extrêmement sûrs. Sur le marché international de l'énergie nucléaire, il n'y a pas de possibilité de vendre de vieux réacteurs", explique-t-elle.

D'autant que les Etats africains ne sont pas seuls et profitent d'un appui international. "L'Agence internationale de l'énergie atomique accompagne ces pays pour construire leur propre outil de gestion des risques", précise Teva Meyer.

La question de l'eau de refroidissement

En revanche, ces pays pourraient se retrouver confrontés à un autre problème: "Les réacteurs nucléaires ont besoin d'un approvisionnement en eau important pour leur refroidissement", explique le chercheur. Ces pays ne sont pas tous capables à l'heure actuelle de l'obtenir, pointe-t-il.

Et s'ils en sont capables, "les consommations [d'eau] seront en concurrence avec celles pour d'autres types de besoins pour les populations ou d'autres industries".